15 mai 2024

Vers une refonte de la macro-économie

À propos de l’ouvrage dirigé par Philippe Askenazy et Daniel Cohen: 16 nouvelles questions d’économie contemporaine, éditions Albin Michel, coll. «Économiques», 2010, 598 pages

Interview paru dans le supplément mensuel INDICES du journal L’Agefi en mars 2010, p. 5

Ph. Askenazy en 5 dates:

  • 1993: agrégation de mathématiques;
  • 1999: thèse d’économie politique à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris;
  • 2005: directeur adjoint du CEPREMAP;
  • 2007: directeur de recherche au CNRS et professeur à l’École d’Économie de Paris;
  • 2008: président de la section économie-gestion du comité national de la recherche scientifique (France).

Mise en perspective:

Philippe Askenazy s’est fait connaître au début de la décennie au travers de ses ouvrages sur la croissance économique en lien avec les formes d’organisation innovantes du travail. Dans La croissance moderne: Organisations innovantes du travail (2002), il défendait que la croissance et le creusement des disparités sociales étaient moins marqués par le développement des Technologies de l’Information et de la Communication en tant que telles, que par les pratiques innovantes dans les organisations du travail.

Dans Les désordres du travail: Enquête sur le nouveau productivisme (2004), il montrait que contrairement à la plupart des pays européens, les États-Unis avaient su prendre des mesures efficaces pour diminuer les risques professionnels. Le «miracle américain», pour reprendre ses mots, renvoyait à un nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles en baisse aux États-Unis de 30% de façon continue depuis 1994, tous secteurs industriels confondus. L’auteur identifiait les raisons de cette baisse dans l’action conjuguée de la pression syndicale, puis de l’État et du marché.

En codirection avec Daniel Cohen, il a codirigé l’ouvrage 27 questions d’économie contemporaine (2008) dont les 16 nouvelles questions d’économie contemporaine (2010) constituent une suite – ou comment aborder des thèmes économiques de façon compréhensible pour des non-initiés.

Interview:

Quels sont les thèses défendues dans votre ouvrage relativement à la crise financière?

Les économistes sont encore au début du déchiffrage des mécanismes à l’œuvre. Les thèses développées dans l’ouvrage par une brochette de spécialistes des questions financières sont donc variées. Pour André Orléan, les marchés financiers sont, par nature, instables. Ils ne savent pas s’autocorriger comme le font les marchés de biens ordinaires. Lorsque les prix d’actifs s’écartent de l’équilibre, aucune force de rappel ne vient faire obstacle à leur dérive. La concurrence financière pousse au mimétisme, à la hausse comme à la baisse. Ainsi, peuvent s’enclencher l’emballement euphorique comme la panique. Mais au-delà de cette instabilité intrinsèque des marchés financiers, Xavier Ragot ou Gabrielle Demande soulignent que de nombreux mécanismes inédits se sont mis en place qui ont donné à la crise des subprimes une ampleur considérable. La complexité croissante du monde de la finance, sa capacité inédite à contourner les régulations prudentielles, le rôle nouveau de l’ingénierie financière et l’impunité annoncée des preneurs de risques, du fait des politiques menées par Alan Greenspan depuis 1987 et qui ont pu être interprétées comme une protection contre le risque de retournement, sont autant de facteurs qui se sont ajoutés.

Est-ce que les économistes sont amenés à remettre éventuellement en question leur connaissance des mécanismes?

Oui certainement. L’ampleur de la crise financière et ses effets sur l’économie réelle ont largement surpris les économistes. La récession a été mondiale, le commerce extérieur s’est effondré. Dans les années 1970, le phénomène de stagflation –mélange de faible croissance économique, de chômage et d’inflation – était aussi un phénomène nouveau. Il a fallu environ 5 ans pour que la science économique propose un cadre d’analyse cohérent et des solutions qui se sont avérées dans la décennie suivante efficaces. La période actuelle procède du même bouleversement scientifique qui devrait accoucher d’une refonte de la macroéconomie.

Comment la crise actuelle remet-elle en question l’État Providence?

Deux interprétations dominent. La première serait une crise qui aurait un coût fixe de l’ordre de 20 points de PIB dans de nombreux pays mais une crise qui n’entamerait pas le potentiel de croissance. Dans ce cas, les problèmes de financement de l’État providence, tout particulièrement la santé et les retraites, ne seraient pas affectés sur le long terme. En revanche, si la crise actuelle est aussi le révélateur de dysfonctionnements tels du capitalisme que la croissance serait durablement diminuée, il faudrait drastiquement revoir les paramètres du financement de l’État providence, ce qui passerait par un alourdissement de la charge pesant sur les ménages. Le dynamisme déjà retrouvé de grands pays émergents, l’effort préservé en matière d’innovation, ou encore la mobilisation des économistes pour comprendre la crise, incitent toutefois à un certain optimisme.