29 avril 2024

Entreprendre, c’est fertiliser mes pensées

À propos de l’ouvrage Le vieil homme et le livre de Michel Moret, éditions de l’Aire, 116 pages, 15 francs ISBN 978-2-889-65168-1

Publié dans le supplément INDICES de L’Agefi, août 2021.

INTRODUCTION:

Entrepreneur dans le domaine du livre, Michel Moret a emprunté au poète René Char sa devise: «Que le risque soit ta clarté». On conseille la lecture de ses ouvrages aux étudiant.es en gestion de sorte à les éloigner des mythes quelque peu éculés liés à l’entreprise et à l’entrepreneur mis en avant dans les ouvrages de management souvent déconnecté des réalités de terrain. Ici, des situations concrètes et des choix cruciaux, des choix mortels – ou de mortels –, pour ainsi dire. Les entrepreneurs sont mus prétendait l’économiste J.-M. Keynes par des esprits animaux. Les tripes en somme! «Entreprendre, c’est fertiliser mes pensées», déclare quant à lui Michel Moret.

INTERVIEW:

Pour vous, qu’est-ce qu’un entrepreneur?

Un entrepreneur veut réconcilier le rationnel et l’irrationnel. C’est quelqu’un qui se bat pour que 2 x 2 = 5. C’est une affaire d’âme. Un employé très compétent peut être un entrepreneur médiocre. Sociologiquement, l’entrepreneur fait partie des funambules.

Comment concevez-vous les notions d’«échec» et de «réussite»?

Je suis riche de mes échecs. La réussite, c’est ce qu’on oublie.

Vous posez le dernier quart du siècle comme étant l’âge d’or de l’édition en Suisse romande: quelles voies d’avenir imaginez-vous?

La survie des éditeurs romands dépendra essentiellement de leur force intérieure et de leur foi en l’homme. Après l’âge d’Or, vient l’âge de l’interrogation. Parions sur son imagination.

Que vous inspire le mot du poète René Char: «La stratégie est la mauvaise haleine du monde»?

La mauvaise haleine du monde coïncide avec l’arrivée de managers et des technocrates déshumanisés. C’est l’alpha et l’omega de l’égocentrisme et de l’égoïsme.

MICHEL MORET EN 5 MOMENTS:

  • En 1959, lorsque la belle ferme initiale où je suis né a été victime d’une crise terrible évoquée dans Feuilles et racines, mon premier livre.
  • La découverte tardive de l’amour charnel. Une aventure thérapeutique impossible à assouvir. Comme Zorba le Grec, je pensais qu’il n’existait qu’un seul péché qui consistait à ne pas répondre au désir d’une femme. Je rêvais que j’étais un taureau ailé. De ce tourbillon de pulsions est né mon goût pour la littérature, pays de l’infini.
  • D’abord il y a eu la naissance de mes enfants en 1967 et 1968. Puis, 1978, avec la renaissance de l’Aire. Mon rêve favori: souffler dans le bec d’oiseaux agonisants et assister à leur envol. La naissance d’un écrivain est du même ordre. Pendant plusieurs années, lorsque je publiais un premier livre d’un jeune auteur, j’écoutais «Le Sacre du printemps». La musique de Stravinski me semblait une heureuse bénédiction pour l’événement.
  • Je suis possédé par des visions. Cela peut être un chêne solitaire dans la région du Mont-Cheseau, par la vision de la Mésopotamie depuis le sommet du Nemrud Dagh, par le souvenir des centaines de corps de femmes qui imprègnent mon âme pour l’éternité et par certains tableaux de Van Gogh. Dans mes songes, je me complais à m’identifier au semeur. Entre la culture de la terre et la production des livres, le changement est minime.
  • Mon changement de regard sur le monde avec l’arrivée du Coronavirus. J’ai découvert une société malade et névrosée et qui est impossible à gouverner. Savoir que nos élus sont le fruit du même groupe humain a quelque chose d’inquiétant. Sans remettre en question la fragile démocratie, force est de se rappeler que les statistiques, les sondages ne valent pas grand-chose. Seul compte le besoin de raison et de grandeur. Dans ce cas de figure l’art et la littérature peuvent être d’un précieux secours.