14 mai 2024
Filles et garçons Formation

Une route longue et sinueuse

À propos de l’ouvrage Filles et garçons face à la formation. Les défis de l’égalité, de Farinaz Fassa, éditions des Presses universitaires et polytechniques romandes (PUPR), 2016, coll. Le savoir suisse, 140 pages.

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, octobre 2016.

Farinaz Fassa en 5 dates:

  • 7 février 1971: les femmes suisses obtiennent finalement le droit de vote.
  • 14 juin 1991: plus de 500’000 femmes sont en grève en Suisse pour obtenir l’égalité des chances et des salaires.
  • 1er juillet 1996: la Loi sur l’égalité entre en vigueur.
  • 2001: la proportion des femmes dans l’enseignement supérieur helvétique atteint celle des hommes.
  • 8 novembre 2016: un président tenant des propos sexistes et racistes est élu à la tête des USA.

Perspective:

Farinaz Fassa est professeure de sociologie de l’éducation et codirectrice de l’Observatoire de l’éducation et de la formation, Faculté des Sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne. Pour la professeure lausannoise, malgré des avancées concrètes ces dernières décennies, les politiques d’égalité ont encore des défis à relever pour que l’école remplisse l’une de ses fonctions fondamentales : préparer à une citoyenneté active et paritaire. Surtout, ne pas baisser la garde !

Interview:

Depuis le Droit de vote des femmes en 1971 et la mixité généralisée des études en 1972, peut-on dire que la partie est
gagnée en matière d’égalité à l’instruction et à la formation ?

Si l’on regarde les résultats des filles aux épreuves PISA, on pourrait le croire, de même qu’on pourrait imaginer que la sensibilité des enseignant.e.s a fondamentalement évolué en bientôt 50 ans. Mais la réalité rattrape les femmes sur le marché du travail et l’on est encore loin d’une égalité des filles et des garçons devant l’éducation et la formation, la socialisation différenciée déployant tous ses effets aux moments cruciaux que sont les choix des filières (de manière simplifiée, sciences dures vs sciences humaines et sociales) et le choix d’une formation de type professionnelle ou universitaire.

Bien que l’on puisse avoir le sentiment que les choix de formation sont avant tout ceux des individus, les ségrégations horizontale (les personnes d’un sexe se retrouvent en très grande majorité dans un secteur professionnel) et verticale (les personnes d’un même sexe se regroupent inégalement aux différents niveaux des professions) dans l’emploi montrent que ces phénomènes ont une portée collective qui ne peut être comprise que comme le résultat d’une éducation qui ne donne pas, contrairement à ce qui devrait être le cas, les mêmes opportunités aux enfants des deux sexes.

Ainsi, les trajectoires des filles et des garçons se différencient clairement dès le milieu de l’école obligatoire. Les filles semblent penser au moment de l’adolescence que les mathématiques sont en contradiction avec leur appartenance au groupe de sexe féminin et les garçons paraissent à leur tour s’éloigner des langues et des arts, car ils ne correspondraient à l’image virile qu’ils pensent devoir donner. Bref, les uns vont se diriger vers des disciplines techniques et les autres vers les disciplines qui ont pour centre l’humain (éducation, santé et social). Comme l’on sait que dans certains pays les filles brillent plus que les garçons en mathématiques (par exemple la Finlande ou la Slovénie), il faut bien se dire la nature n’a rien à voir avec ces orientations différentes et que cela provient de la manière dont les enfants sont éduqué.e.s. Par leurs familles tout d’abord, mais aussi par ce que les discours et les pratiques transmises comme « normales » au travers de l’éducation scolaire. Cet ensemble de signes construit ce que l’on appelle le curriculum caché. On utilise ces termes, car les apprentissages de genre font, comme les programmes scolaires, l’objet d’une inculcation méthodique qui va avoir pour conséquence de maintenir l’inégalité comme fondement aux rapports sociaux de sexe. Or, ce programme est caché, car la transmission organisée de normes et de règles sexuées n’est explicitée nulle part, les acteurs et actrices n’en ayant par ailleurs pas toujours conscience.

Que reste-t-il à faire selon vous pour que cela cette égalité soit effective ?

Il reste certainement beaucoup de choses à faire dans le domaine des pratiques éducatives et de formation, mais il me semble que pour commencer, il faut avant tout que l’égalité entre les sexes soit explicitement nommée comme un des objectifs des politiques éducatives et de formation. Or, ce n’est pas le cas dans le Plan d’études romand qui met plutôt l’accent sur l’équité.

N’y a-t-il pas actuellement un risque de diluer l’égalité dans la diversité ?

Il me semble que le risque existe clairement, car insister sur les multiples besoins des différents types d’individus conduit à oublier les inégalités structurelles et empêche de s’attaquer à une injustice fondamentale qui se traduit par un écart important de salaire sur le marché du travail (en moyenne 20% dont près de 40% ne peuvent être expliqués que par des pratiques discriminatoires selon le Bureau fédéral de l’égalité) et par une répartition très inégalitaire des tâches domestiques dans la sphère privée.

Les données de l’Office fédéral des statistiques sont très claires de ce point de vue et on reste donc bien loin de l’égalité et de l’absence de discriminations – même indirectes – liées au sexe. Une prise de position claire des autorités éducatives au niveau fédéral (Conférence des Directeurs de l’Instruction publique) à ce propos pourrait par exemple imposer que la formation des enseignant.e.s comprenne systématiquement et de manière obligatoire des cours sur cette thématique pour être reconnue. De tels enseignements permettraient aux enseignant.e.s en formation ou en activité de se distancier des stéréotypes qui ont marqué leur éducation et qui circulent au travers des différents médias et de véritablement offrir à leurs élèves une formation qui leur permettra de déployer toutes leurs aptitudes et compétences.

N’est-on pas arrivé aujourd’hui à un point où l’on risque de se satisfaire d’avancées somme toute partielles ?

Là aussi, je répondrai positivement à la question. Ne pas intervenir durant l’éducation et la formation pour construire l’égalité entre les sexes équivaut à reconduire et reproduire une situation qui reste particulièrement injuste. En Suisse, les femmes sont toujours plus contraintes que les hommes à accepter que leurs projets d’avenir soient revus à la baisse pour pallier les manques dans les politiques familiales (par exemple la cherté des crèches et leur rareté).