13 mai 2024
lamamra

Le système de formation professionnelle et ses défis

À propos de l’ouvrage Enjeux de la formation professionnelle en Suisse: Le «modèle» suisse sous la loupe, Lorenzo Bonoli, Jean-Louis Berger, Nadia Lamamra (Dir.), éditions Seismo, coll. Contributions à la recherche en formation professionnelle, 374 pages, ISBN 978-2-88351-083-8

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, octobre 2016.

Respectivement docteur.e en philosophie, en sciences de l’éducation et en sciences sociales, Lorenzo Bonoli, Jean-Louis Berger et Nadia Lamamra sont chercheur.es à l’Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP) à Lausanne.

L. Bonoli, J.-L. Berger et N. Lamamra en 5 dates:
  • 2009: L. Bonoli, «Lavoro e formazione professionale: nuove sfide» (Casagrande), avec G. Ghisla.
  • 2010: L. Bonoli, «Per una cultura della formazione al lavoro» (Carocci), avec F. Merlini.
  • 2013: J.-L. Berger, «L’apprentissage autorégulé» (Ovadia), avec F.-P. Büchel.
  • 2015: J.-L. Berger, «Apprendre: la rencontre entre motivation et métacognition.» (P. Lang).
  • 2016: N. Lamamra, «Le genre de l’apprentissage, l’apprentissage du genre» (Seismo) et, avec G. Moreau, «Heurs et malheurs de l’apprentissage en Suisse» (Formation Emploi).
Perspective:

Le système dual suisse est attrayant du point de vue de nos voisins parfois, en ce qu’il est censé adhérer au marché du travail. Se faisant, les acteurs participant audit système seront-ils à la hauteur des défis qui pointent à l’horizons ou qui sont déjà-là?

Interview:

Qu’entendre par «formation professionnelle»?

Ces termes désignent, dans le contexte suisse, une pluralité de filières de formation. Il s’agit tant de la formation au niveau post obligatoire par la voie de l’apprentissage dual ou en école de métier (formation professionnelle initiale), que de la formation au niveau tertiaire dans les écoles supérieures ou encore des brevets et maîtrises fédérales (formation professionnelle supérieure). Toutes ces formations préparent et donnent accès directement à une activité professionnelle spécifique. Historiquement, la formation professionnelle suisse s’est constituée progressivement à partir du début du XXème siècle en tant que filière sous le contrôle de la Confédération, avec une loi fédérale qui en précise les conditions-cadre et qui prévoit une collaboration étroite entre trois acteurs principaux qui sont la Confédération, les cantons et les organisations du monde du travail. Par défaut, quand on parle de «formation professionnelle», on entend la formation initiale par apprentissage de type dual. C’est sur cette filière que portent la majorité des travaux exposés dans l’ouvrage.

En quoi consiste la spécificité suisse?

Le système suisse fait partie des systèmes de formation germaniques au même titre que ceux de l’Allemagne ou de l’Autriche. L’une des singularités est le rôle primordial joué par l’économie dans la formation. Non seulement les organisations du monde du travail participent à l’élaboration des contenus de formation, mais encore les entreprises (privées et publiques) mettent à disposition les places d’apprentissage. Malgré cette forte implication, l’État (fédéral et cantonal) joue un rôle important. La filière la plus fréquentée, l’apprentissage dual, consiste en une alternance entre trois lieux de formation que sont l’entreprise formatrice, l’école professionnelle et les cours inter-entreprises. On pourrait ainsi parler d’un modèle trial et non dual. La majorité du temps de formation est passé dans une entreprise formatrice sous la supervision de personnes responsables de former les apprentis. Ces derniers sont directement impliqués dans les activités professionnelles qui seront plus tard les leurs.

Pourquoi semble-elle enviable à nos voisins?

Parce qu’elle se calque directement sur les besoins du marché du travail. Étant donné que ce sont les entreprises qui décident de proposer une place d’apprentissage, les offres sont prévues en fonction des besoins futurs de main d’œuvre. Par ailleurs, l’alternance des lieux de formation permet d’enseigner aux apprentis non seulement les connaissances spécifiques à un métier, mais aussi les savoir-être et savoir-faire du monde du travail. Le système est présenté par nos autorités comme participant à un faible taux de chômage des jeunes, ce qui n’est pas sans intéresser nos voisins européens, pour qui le phénomène est préoccupant.

Quels sont les défis du système ?

Précisons qu’il s’agit, dans l’ouvrage, de montrer qu’il est important de porter attention aux défis systémiques, sociaux et pédagogiques afin de maintenir la qualité de la formation professionnelle et de l’adapter aux défis à venir. Ces défis sont multiples et complexes. L’ouvrage en propose un tour d’horizon non exhaustif. Au niveau du système, le défi majeur est d’assurer un bon fonctionnement du partenariat entre les acteurs principaux de la formation professionnelle, un partenariat qui a régulièrement été mis sous pression ces dernières années et qui révèle que les équilibres sont toujours à construire et à renégocier entre les différents acteurs et partenaires. Du point de vue social, un défi se pose en termes d’accessibilité à la formation professionnelle initiale. Le modèle dual, fondé sur la participation des entreprises, n’assure pas une place de formation à tous, puisque l’accès repose sur une sélection qui suit des logiques propres au marché du travail. La liberté de choix d’une formation pour les jeunes au sortir de l’école obligatoire est ainsi limitée pour certaines catégories et un nombre relativement élevé de personnes rencontre des difficultés dans ce passage entre l’école obligatoire et la formation professionnelle. Au niveau pédagogique, un défi majeur porte sur l’articulation des savoirs entre les trois lieux de formation. Autant la multiplicité de ces lieux constitue une opportunité de développer un savoir-être et savoir-faire large, autant les jeunes rencontrent des difficultés à donner sens à certains savoirs dispensés en école professionnelle et à mobiliser judicieusement ces savoirs lors de leurs activités dans l’entreprise formatrice.