14 mai 2024
Pearson

Toujours plus de chaleur que de lumière

À propos de l’ouvrage Économie et défis du réchauffement climatique, de Charles S. Pearson, traduction de l’américain: Laurent Baechler, éditions De Boeck, collection Planète en jeu, 224 pages, ISBN 978-2-8041-8151-2

Compte-rendu paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, avril 2014.

À l’heure où le GIEQ vient de remettre ses derniers rapports en une cinquième livraison il est actuel et sans doute utile de faire le point sur les outils de l’économie pour lutter contre le réchauffement climatique

La collection d’ouvrages «Planète en jeu» animée notamment par Jean Baechler, professeur d’économie internationale à Sciences Po, publie son huitième volume. Ce volume n’est pas un essai de plus sur la question du réchauffement, mais une véritable somme des connaissances acquises dans le domaine des théories du changement climatique. Du point de vue économique. Son auteur est l’un des protagonistes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (le fameux GIEC) – groupe ouvert à tous les pays membres de l’ONU et de l’OMM (Organisation météorologique mondiale). Pour mémoire, le GIEC, fondé en 1989, publie depuis 1990 un ensemble de trois rapports tous les six ans: l’un porte sur le climat du point de vue scientifique, un autre sur les conséquences, et le troisième sur les politiques proposées aux décideur/euse/s. Charles S. Pearson participe à la confection du troisième rapport, celui qui renvoie aux sciences humaines et sociales et, particulièrement, à l’économie. La cinquième livraison des trois rapports a été faite tout récemment.

Le réchauffement global nécessite la mobilisation de nombreuses disciplines scientifiques, présente des défis politiques importants (réaménagement des droits de propriétés) et pose des questions éthiques profondes (que lègue-t-on environnementalement parlant aux générations futures?). Il est, écrit d’emblée Pearson «le problème environnemental du XXIe siècle».

Dans le premier chapitre (sur les dix qui composent l’ouvrage), l’auteur fait le point de la question pour des lecteurs peu au fait de son actualité. Il propose un survol de la science du réchauffement climatique et des divers efforts internationaux menés au travers d’initiatives diverses, du protocole de Kyoto aux accords non contraignants de Copenhague et de Cancun pour lutter contre l’augmentation des gaz à effets de serre dont le dioxyde de carbone (ou CO2) représente 60% des émissions atmosphériques.

Le deuxième chapitre porte sur l’analyse coût-bénéfice (ci-après CB), approche typique de l’économie comme discipline d’appréhension et de mesure des ressources rares et la façon optimale d’en faire usage. Pearson montre les avantages mais aussi les limites de l’analyse CB. À son crédit, la possibilité, notamment, à travers la théorie de l’utilité anticipée d’évaluation des politiques. Au débit, surtout l’usage controversé du test de compensation hypothétique Kaldor-Hicks (ci-après KH), variante du test de Pareto qui prétendait qu’un optimum était atteint «lorsque les ressources étaient allouées de telle manière qu’il n’est pas possible d’améliorer la situation d’une personne sans détériorer celle d’une autre personne.». Or, toute mesure génère des gagnants et des perdants, d’où un dilemme auquel deux britanniques économistes ont apporté une solution. Leur idée est qu’une mesure génère «suffisamment de bénéfices pour faire en sorte que les gagnants puissent compenser les perdants tout en conservant un gain.» Pearson montre toutes les difficultés de raisonner en termes d’efficacité dans le temps long de la transformation du climat et son irréversibilité. Quant à la question de la justice intergénérationnelle, il convient aussi de la prendre en compte. Le troisième chapitre ajoute aux aspects techniques sur le plan de l’analyse économique, et le suivant met en application les réflexions apportées par l’auteur jusque-là. Charles Pearson n’hésite pas à mettre en relief la fragilité des outils de l’économie tandis qu’existe «la tentation de banaliser le futur».

Le chapitre cinq revient à comparer les stratégies possibles, tous dommages considérés, soit en termes d’atténuation, soit en termes d’adaptation. L’idéal eut bien sûr été d’utiliser la première de ces deux stratégies. C’était d’ailleurs le point central des chapitres deux à quatre que de traiter dans le cadre de l’analyse CB une analyse de l’atténuation. Mais il faut admettre avec les auteurs que les dégâts effectifs incitent au réalisme; alors, puisqu’il est à présent trop tard pour agir, il convient de réfléchir en termes d’adaptation. Dans le chapitre six, sont présentés les différents outils de l’économie. Où il existe notamment aujourd’hui, selon Pearson, un consensus entre économistes quant à «l’idée qu’appliquer un prix aux émissions de gaz à effet de serre, en particulier au carbone, doit être la pièce maîtresse d’une politique climatique sérieuse.» Le chapitre sept s’efforce de faire le lien entre la politique climatique et la politique commerciale. Le huit considère le changement climatique en termes de bien public. Le neuf récapitule l’ensemble.

La lecture de cet ouvrage est rendue agréable grâce à la rigueur de l’auteur, à son souci de clarté, et sa réelle capacité à exprimer des idées souvent techniques de façon compréhensible pour un∙e non spécialiste. Cette posture que l’on qualifiera de démocratique est appréciable, ce d’autant que C. Pearson nous fait pénétrer dans le monde économique en pointant les limites des outils de l’analyse économique et des instruments entres autres outils et mesures. Les économistes spécialisé∙e∙s dans d’autres domaines que celui du réchauffement climatique apprécieront certainement les informations contenues dans l’ouvrage. Les économistes de formation mais non spécialistes, tout comme les non-économistes, prendront sans doute conscience de l’abstraction de cette science sociale pourtant qu’est l’économie et de son postulat de rationalité des agents. Une science sociale désincarnée en quelque sorte apportant finalement, à l’instar des théories qui ont fondé l’économie moderne, et pour reprendre le titre d’un ouvrage du philosophe de l’économie Philip Mirovski: More Heat than Light (1991).