14 mai 2024
Crise permanente

Solutions à une crise qui n’en finit pas

À propos de l’ouvrage De la grande guerre à la crise permanente, de Marc Chesney, éditions des PPUR (Presses polytechnique et universitaires romandes), 2015, coll. économie+management, 120 pages.

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, mai 2015.

M. Chesney en 5 dates:

  • 1989: obtention du doctorat en finance à l’université de Genève.
  • 1993: nommé professeur permanent et doyen associé à HEC Paris.
  • 2003: nommé professeur permanent à l’université de Zurich.
  • 2007: nommé vice-directeur du département de Banque et Finance de l’université de Zurich.
  • 2012: devient membre de Finance Watch.

Perspective:

Marc Chesney est professeur de finance à l’Université de Zurich. Il convient pour lui de remettre la sphère financière à sa place, soit au service de l’économie et de la société. Faire en sorte que les lobbies du secteur financier cessent de bloquer tout type de solutions efficaces.

Interview :

Depuis la crise, rien ne paraît avoir changé et celle-ci se poursuit, la situation étant très instable…

Effectivement, au niveau international, en dépit de nombreuses déclarations gouvernementales, les projets de régulation sont le plus souvent, soit vidés de leurs contenus, soit bien trop complexes.

Pourtant il y a eu Basel 1, 2 et 3 ! ?…

Justement, les Accords dits de Bâle 3 correspondent à un document d’environ 600 pages. Pour ceux de Bâle 2 il s’agissait déjà d’approximativement 300 pages. Une chose est claire, un système de régulation de 600 pages est inapplicable. Cette tendance inflationniste est contre-productive, puisque seules les grandes banques sont susceptibles de consacrer les ressources nécessaires au traitement et à l’éventuelle implémentation de ces mesures. Les banques de tailles réduites ont le plus grand mal à s’adapter et ont tendance à chercher l’intégration dans un grand groupe. Finalement, le résultat obtenu est contraire à l’objectif supposé. En effet, les banques dites « too big to fail » accroissent ainsi leur taille et les plus petites ont du mal à survivre.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Il s’agit non pas d’appliquer des recettes au goût amer, mais plutôt de respecter des principes de bases. Cela ne requiert pas 600 pages de régulations ! Le principe le plus important à ce niveau est que le secteur financier se devrait de servir l’économie et la société. Or, c’est l’inverse que nous observons. Des grandes banques dites « too big to fail » s’engagent dans des activités risquées et le contribuable, le client, tout comme l’employé et l’actionnaire en subissent les coûts éventuels. Autrement dit, les profits sont privatisés et les pertes socialisées. Ainsi, un second principe de base n’est lui non plus pas respecté : ceux qui prennent des risques se doivent de les assumer.

Mettre en œuvre ces principes requiert l’application d’un certain nombre de mesures qui sont présentées dans mon livre.

Tout d’abord, les banques d’investissement devraient être séparées des banques de dépôt, comme ce fut le cas aux États-Unis avec le Glass-Steagall Act, jusqu’en 1999. Les établissements financiers dont les activités relèvent plutôt de celles d’un casino ne devraient pas pouvoir utiliser l’argent de leurs clients comme mises dans des paris douteux.

Ensuite, l’endettement des banques devrait être fortement limité. Les capitaux propres des banques dites too big to fail, sont actuellement, dans le meilleur des cas, de l’ordre de 4 à 5% de l’ensemble de leurs engagements. Il devrait être de l’ordre de 20 ou 30% comme ce fut le cas le plus souvent au 19° et au début du 20° siècle. Lorsqu’une famille s’endette pour acheter un appartement, l’apport en capital exigé par les banques est de l’ordre de 20% de la valeur du bien. À quel titre les grandes banques pourraient-elles s’exonérer des contraintes qu’elles imposent à leurs clients ?

Par ailleurs, un processus de certification des produits financiers devrait être mis en place. De tels processus existent dans la plupart des secteurs d’activité : la pharmacie, avec Swissmedic, l’automobile… Avant d’être commercialisé, il s’agit de s’assurer que les produits satisfont certaines normes. L’objectif serait ainsi de mettre fin à la diffusion de produits financiers complexes et toxiques.

Finalement, comme l’a analysé le financier Zurichois Felix Bolliger, l’introduction d’une taxe sur toutes les transactions électroniques permettrait d’une part, de fortement réduire tous les autres impôts et d’autre part, d’accroître la stabilité des marchés financiers. Cette taxe ne devrait pas se limiter aux achats d’actifs financiers, mais devrait concerner l’ensemble des paiements électroniques, par exemple ceux concernant les factures de restaurants ou de supermarchés. Les transactions annuelles sont en Suisse de l’ordre de 100’000 milliards de francs. Percevoir seulement 0,2% sur chacun des paiements électroniques permettrait de générer 200 milliards de francs suisses d’impôts, soit plus que les environ 170 milliards de francs que génère actuellement la collecte annuelle d’impôts en Suisse. Ainsi, les grandes banques qui sont actuellement sous-imposées paieraient avec ce système plus d’impôts et la plupart des contribuables et des entreprises seraient soulagées.