14 mai 2024
Socialisation écon. des jeunes

Socialisation économique

À propos de l’ouvrage Socialisation économique et pratiques financières des jeunes : questions de sociologie, sous la direction de Caroline Henchoz, Fabrice Plomb, Francesca Polglia Mileti et Franz Schultheis, éditions Séismo, Revue suisse de sociologie, vol.41, n°2, 2015, 160 pages.

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES,

F. Schultheis en 5 dates:

1953: naissance le 7 déc.

1973: fait connaissance avec ma femme, le 8 jt.

1986: fait connaissance avec Pierre Bourdieu, le 7 oct.

1994: habilitation à diriger des recherches (HDR) avec Bourdieu à l’EHESS/Paris, le 25 janv.

1994: naissance de mon fils Lucas, le 24 févr.

C. Henchoz en 5 dates:

  • 1973: naissance.
  • 1992: découverte de la sociologie à l’Université de Neuchâtel.
  • 2000: fais connaissance de mon conjoint.
  • 2007: obtention de ma thèse de doctorat avec Franz Schultheis comme directeur.
  • Aujourd’hui: car le moment présent est toujours le plus important.

Perspective:

Franz Schultheis est professeur de sociologie à l’Université de St Gall.

Caroline Henchoz est maître d’enseignement et de recherche à Université de Fribourg.

De nombreux programmes sont mis en place pour pourvoir les individus de populations différentes (ici, les jeunes) de compétences pour prévenir les dérives de nos sociétés de consommation de compulsions d’achat ou d’endettement. D’obédience économique, ils se basent sur le choix rationnel et un individualisme méthodologique qui fait l’impasse sur les contextes, les cultures et les temporalités. Les auteur·e·s du dernier numéro de la Revue suisse de sociologie défendent plutôt que les savoir et savoir-faire dans le rapport à l’argent, s’acquièrent au fil de la socialisation économique.

Interview:

Quelles pistes proposez-vous pour penser la socialisation économique et le rapport des jeunes à l’argent ?

La socialisation économique ou l’apprentissage du rapport à l’argent ont souvent été analysés en termes de transmission des savoirs par l’éducation. Nos recherches (pour en savoir plus : http ://fns.unifr.ch/jeunes-et-argent/fr) montrent pourtant que c’est surtout en faisant des expériences, en faisant face à des événements, que nous avons appelés épreuves, que les jeunes développent des savoirs et des compétences économiques. Le départ du foyer parental, l’entrée sur le marché du travail ou la formation d’un couple sont des épreuves spécifiques à la jeunesse. En ce sens, les savoirs acquis sont pragmatiques plus que théoriques et ils sont biographiquement et socialement constitués. Les jeunes des milieux précaires doivent faire face à d’autres épreuves (le manque d’argent par exemple) que les jeunes plus favorisés. Ils vont développer des compétences spécifiques qui pourtant sont rarement reconnues. Penser l’économie à partir des pratiques, conduit à remettre en question la rationalité économique désincarnée et égocentrée de la théorie néoclassique pour relever différentes formes de rationalité bien plus pragmatiques.

Il y a donc une face sociale de l’argent… ? !

En le réduisant à sa dimension matérialiste, on a longtemps oublié que le rapport à l’argent est traversé par des enjeux sociaux fondamentaux pour le vivre ensemble. Quand les jeunes apprennent « la valeur » de l’argent, ils apprennent aussi des logiques sociales aussi différentes, voire opposées, que celle du don, du gain et du mérite, de l’intérêt et du profit, de l’accumulation ou encore de la dette comme relation morale. Apprendre l’usage de l’argent, c’est apprendre, pour le dire un peu rapidement, « la vie » telle qu’elle se joue dans nos sociétés capitalistes. C’est apprendre la division de travail, la solidarité, les rapports de pouvoir et de domination sociale, les injustices en matière de « chances de vie » comme les appelait Weber que la possession de l’argent offre et son absence refuse. Certes, l’argent représente de façon évidente un capital économique. Nos sociétés en ont fait la mesure et l’équivalent universels de tous les biens. Son rôle en tant que capital symbolique et social saute moins aux yeux, pourtant il peut représenter un intérêt et un mobile de comportement tout aussi importants. Des dépenses rattachées à l’achat de symboles et de statut (gadgets, mode…) reflètent de façon idéale typique de tels enjeux sociaux.

Vous proposez une explication sociologique à la question de l’endettement : l’économique vous paraît-elle insuffisante ?

L’explication fondée sur une approche néoclassique et libérale de l’économie nous semble réductrice, car elle tend à considérer l’endettement uniquement comme la conséquence d’une consommation irresponsable ou d’un manque de connaissances financières. Dans la recherche financée par le Fonds national suisse de la recherche (FNS) que nous allons débuter cet automne, nous allons certes considérer les capacités d’agir individuelles, mais nous intégrons également d’autres niveaux d’analyse. Selon le contexte historique, social, économique et institutionnel dans lequel ils vivent, les individus font face à des contraintes et des opportunités diverses. Par exemple, en Suisse, le paiement des impôts et de l’assurance maladie basé sur la responsabilité individuelle est, selon l’Office fédéral de la statistique, une source d’endettement plus importante que les crédits à la consommation. La dimension temporelle du processus d’endettement est également centrale. Les statistiques de Dettes Conseil Suisse relèvent par exemple que les accidents de la vie ne sont pas les uniques facteurs d’endettement problématique, d’autres heureux événements peuvent y contribuer : mise en couple ou l’agrandissement de la famille. Les liens et les réseaux sociaux fonctionnent également comme des formes de contraintes et d’opportunités qui structurent les décisions et les actions économiques. Nos entretiens exploratoires montrent par exemple que l’endettement pour autrui arrive peut-être plus fréquemment qu’on ne le pense. En ce sens, il peut parfois aussi être compris en termes de solidarité conjugale ou familiale.