14 mai 2024
Le plafond de verre est noir

Discrimination à haut niveau

À propos de l’ouvrage Le plafond de verre est noir, de Aymeric Thon-Adjalin, èditions Envolume, 2015, 160 pages.

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel, octobre 2015.

A. Thon-Adjalin en 5 dates:

  • 1975: naissance au Bénin (le 18 septembre).
  • 1993: arrivée en France (septembre).
  • 2013: diplômé de l’Executive Master Communication à Sciences Po Paris (novembre).
  • 2014: création de Kmleon Conseils, conseil en communication digitale (avril).
  • 2015: publication de mon ouvrage (septembre).

Perspective:

Aymeric Thon-Adjalin, conseil en communication digitale.

Qu’en est-il de l’ascension hiérarchique de l’élite noire de France ? Qu’est-ce qui fait que des préjugés conjugués au contexte socio-économique rendent les Noirs invisibles dans les hautes sphères de décision ? L’auteur dresse le portrait de la minorité noire en entreprise et montre qu’aujourd’hui encore les cadres se heurtent au plafond de verre. Cet essai sociologique suivi d’une galerie de portraits offre les clés d’une meilleure compréhension du phénomène et des pistes pour y remédier, notamment la « discrimination » dite « positive »… L’ouvrage d’Aymeric Thon-Adjalin nous invite notamment à réétudier les solutions renvoyant aux quotas.

Interview:

D’habitude, on évoque le « plafond de verre » qui limite l’accès des femmes aux postes de décision et à responsabilité…

… un phénomène toujours d’actualité ! Qui touche en réalité une plus large population, comme les jeunes diplômés issus de l’immigration, les handicapés, les minorités ethniques…. Le “glass ceiling”, ou « plafond de verre », est une expression américaine apparue dans les années septante pour désigner le fait que, dans une organisation hiérarchique, les niveaux supérieurs ne sont pas accessibles à certaines catégories de personnes qui pourraient pourtant y prétendre.

L’étude de ce phénomène auprès des minorités visibles (Ndlr : expression nord-américaine) se limite trop souvent aux obstacles qui inhibent l’accès à l’emploi. Elle aborde rarement les blocages d’évolution professionnelle des cadres déjà en activité. J’ai donc voulu apporter un éclairage sociologique sur les élites noires de France, en particulier, confrontées au plafond de verre. Une discrimination cachée plus présente qu’on ne croit.

Sur le plan de la recherche, ce livre pourrait s’inscrire dans le champ d’études plus vaste des “black studies” à la française suggéré par l’historien français Pap Ndiaye.

N’y a-t-il pas un risque de créer des défenses de minorités ad nauseam ?

La lutte contre toute forme de discrimination ne doit pas être circonscrite à un individu, un groupe ou une minorité spécifique. Je soutiens évidemment les initiatives et mesures prises pour aider un individu confronté à une structure qui l’écarte d’un niveau de rémunération ou hiérarchique auquel il pourrait prétendre. Il se trouve que je suis moi-même Noir, issu d’un milieu plutôt intellectuel. Mon travail analyse le plafond de verre rencontré par une minorité à laquelle j’ai la chance d’appartenir. Mon propos n’est pas d’opposer des groupes sociaux entre eux, mais de reconnaître des formes d’injustice et d’encourager une plus grande diversité dans le top management.

Quelles solutions proposez-vous ?

Un cadre m’a dit un jour : « il semble peser sur nous un soupçon de légitimité qui est permanent. Il faut être meilleur que les autres, comme si j’avais usurpé ma place ». En prenant en exemples différentes personnalités qui ont fait bouger ces stéréotypes, je décris les ressorts psychologiques et les moyens qu’elles ont réussi à utiliser pour transcender le plafond de verre. À commencer par refuser de se définir uniquement comme Noir, déjouer les préjugés et démontrer qu’il n’y a pas forcement de déterminisme ethnique dans le parcours professionnel. Ceci dans le but d’inspirer toutes celles et ceux qui pensent que l’accès aux postes à responsabilité leur est irrémédiablement fermé.

Pour ce qui est des mesures légales, je suis pour la « discrimination » positive en entreprise à compétences égales et sur une période de temps limité, qui favoriserait une évolution des consciences et démontrerait que les noirs aussi savent et peuvent diriger.

Vos analyses valent elles aussi pour la Suisse ?

Assurément, bien que les explications statistiques, culturelles et historiques ne soient pas les mêmes en Suisse qu’en France. Je me réjouis que Tidjane Thiam, Noir, sorti major de l’École des Mines, ait été nommé récemment (mars 2015) directeur général du Crédit suisse. En France, nous avions l’économiste et banquier d’affaires Lionnel Zinsou, ex PDG du fonds d’investissement PAI Partners et actuel Premier ministre du Bénin. Pour la petite histoire, Tidjane Thiam était promis à un brillant avenir en France, mais n’y a jamais pu faire carrière. Car il est noir. Fatigué de « [se] cogner le crâne contre un plafond de verre », il choisit l’exil en Angleterre ; « Ton problème ici, ce n’est pas que tu es noir, c’est que tu es Français », lui dit-on à son arrivée à la City…