15 mai 2024
marchandisation verte

Contre la marchandisation de l’environnement

À propos de l’ouvrage Finance verte : Marketing ou révolution ? de Beat Bürgenmeier, Éditions des Presses polytechniques et universitaires romandes, 2015, 250 pages.

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, novembre 2015.

B. Bürgenmeier en 5 dates:

  • 1976 : PhD en économie politique.
  • 1982 : professeur ordinaire à l’Université de Genève.
  • 1995 : doyen de la Faculté des sciences économiques et sociales.
  • 2001 : directeur du centre d’écologie humaine et des sciences de l’environnement.
  • 2015 : parution de Finance verte: Marketing ou révolution ?

Perspective:

Beat Bürgenmeier est professeur honoraire de l’Université de Genève. Dans son ouvrage, il pose la question suivante: “la conversion de la finance au développement durable est-elle un leurre?” C’est l’inquiétude qui paraît traverser de part en part le récent ouvrage du professeur d’économie, chantre de la prise en compte de l’écologie dans l’économie et les affaires. Bien sûr les ISR, soit les investissements socialement responsables, ont réussi à s’imposer dans le domaine de la finance, mais l’ont-ils conquis au point d’instiller une nouvelle culture dans ce domaine ? Autrement dit, l’ont-ils conquis au point de le convertir au développement durable ? L’auteur croit dur comme fer que cela serait possible, mais il constate que dans les faits il faudrait une vraie réforme de l’évaluation des entreprises, ce qui est encore loin d’être le cas. Pour le
Genevois, la finance pourrait contribuer de manière substantielle à rendre le concept de développement durable opérationnel. Hélas, au lieu d’être plus transparente et d’assumer pleinement sa responsabilité, la finance actuelle favorise la marchandisation de l’environnement.

L’ouvrage montre comment la finance peut contribuer à une politique environnementale opérationnelle en réformant son fonctionnement actuel. Trois parties le composent. Une première partie rappelle les éléments du débat scientifique et, plus fondamentalement, les « valeurs » et les « objectifs » que notre société se fixe, dimension politique et morale donc. La deuxième partie se concentre sur une approche partenariale avec le souci de contrer le point de vue du seul intérêt des actionnaires ; quid de la dimension sociale du développement durable ? Finalement, l’auteur étudie les différents instruments propres à provoquer un changement de comportement. Pour l’auteur, il y a urgence à renforcer les réformes en cours dans l’optique du développement durable.

Interview :

Vous estimez que les institutions ne contribuent pas suffisamment au développement durable : pouvez-vous préciser ?

La finance recherche de plus en plus le profit à court terme. Les échanges à haute fréquence renforcent cette tendance. La finance s’enferme ainsi dans sa propre logique et néglige une vision à long terme prenant en compte la protection de l’environnement et la cohésion sociale. D’une optique opérationnelle du type « tête dans le guidon », il faudrait passer à une pensée stratégique à large échelle engageant la responsabilité de la finance envers les générations futures.

Comment réformer le système selon vous ?

L’évaluation de la valeur des entreprises non seulement selon leur rentabilité financière, mais également selon leur efficacité environnementale et sociale est un moyen efficace. Il faut donc systématiquement promouvoir les investissements socialement responsables (ISR), et ne pas se limiter à penser les réformes dans une seule optique de réduction des risques inhérents au fonctionnement du système financier actuel (too big to fail).

Quels instruments devraient être mis en place ?

Une procédure de certification des ISR doit être mise en place, à l’instar d’ISO 26’000 qui cherche à promouvoir une approche éthique en affaires. Par ailleurs, toute mesure qui renforce la prise en compte du long terme est bienvenue. Le champ de réformes est vaste, allant des impôts sur les transactions financières à une réglementation stricte des échanges à haute fréquence et de certains produits financiers particulièrement toxiques.

S’il est vrai que des changements surviennent parce que des événements nous y obligent et rarement à cause de la « sagesse » des hommes, alors : quel(s) événement(s) pourrai(en)t, selon vous, survenir pour que nous empruntions une voie telle que celle que vous indiquez ?

L’accroissement des catastrophes naturelles prévues par le monde scientifique serait évidemment un événement déclencheur. Cependant, d’autres événements pourraient également contribuer au changement de voie que je préconise, telles que : l’adaptation des prix selon le principe « pollueur-payeur », la contrainte législative, l’éducation et la prise de conscience de la population des problèmes environnementaux et sociaux. Cette conscience se traduit déjà à l’heure actuelle par la pression qu’exercent certains groupes sociaux sur la finance, impliquant des coûts réputationnels importants. En cas de poursuite du « business as usual », ces coûts ne feront que croître et obligeront les acteurs financiers à changer leur stratégie.