14 mai 2024

Sciences humaines et sociales: former des esprits

À propos de l’ouvrage de Guy Lazorthes: Sciences humaines et sociales: l’homme, la société et la médecine, éditions Masson, 1997 (4ème éd.)

Interview mené avec Samantha Guénette et paru dans le Bulletin des HEC de Lausanne, rubrique Éclats de Livres, en 1997

Perspective:

Guy Lazorthes est Professeur d’anatomie et de chirurgie du système nerveux à la Faculté de médecine de l’Université de Toulouse. Mise en perspective de son ouvrage Sciences humaines et sociales: l’homme, la société et la médecine qui est l’aboutissement d’un combat: l’imposition en première année des études de médecine en France d’un enseignement portant sur les sciences humaines et sociales (SHS) et la philosophie, ce, de sorte à éviter que les médecins ne deviennent à l’issue de leurs études de simples techniciens, des spécialistes de leurs spécialités comme cela est trop souvent le cas!

Autres ouvrages de G. Lazortes (sélection):

  • Le système nerveux central. Description. Systématisation. Exploration, éditions Masson, 1983:
  • Le système nerveux périphérique. Description. Systématisation. Exploration, éditions Masson, 1981.
  • Le cerveau et l’ordinateur, éditions Privat, 1988:

La plupart des ouvrages comparant le cerveau et l’ordinateur s’inscrivent dans le développement de l’informatique. Plus gênant selon moi, ils sont tous écrits par des informaticiens qui ne connaissent pas le système nerveux. Je trouve que les comparaisons entre les neurones et les différents composants constituant l’ordinateur sont souvent abusives. Ainsi ai-je pensé qu’un spécialiste du cerveau avait son mot à dire, après s’être informé pendant plusieurs mois en informatique.

  • Les Hallucinations, éditions Masson, 1996:

Il est essentiel de distinguer les hallucinations sensation sans objet de toute autre trouble sensoriel, en particulier des illusions. De nature mystique, psychologique, neurologique ou toxique, on les observe fréquemment. Des écrivains – Maupassant, Dostoïewsky, Flaubert, Musset … – des artistes – Van Gogh – en furent atteints. Dans mon livre, j’analyse longuement chaque cas. (Note: Pour cet ouvrage l’auteur vient de recevoir le Prix La Bruyère de l’Académie française.)

Interview:

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire Sciences humaines et sociales…?

Deux étapes précèdent la rédaction de ce livre. Dans les années 70 j’ai tout d’abord donné une série de conférences portant sur différents sujets – le corps et l’esprit, le normal et l’anormal, l’individu et la personne, la vie et la mort, etc. –, motivé par la nécessité d’une ouverture aux sciences humaines et sociales dans la formation des futurs médecins. Ceux-ci doivent en effet avoir une culture générale car, s’ils sont compétents dans le domaine de la maladie, ils doivent également avoir une idée aussi large que possible de l’Homme global et normal, et pas seulement de l’homme fragmenté en système et malade.

Par la suite, cela remonte à environ huit ans, on m’a demandé de prendre en charge, lorsqu’on l’a mis dans le programme, l’enseignement «culture générale» au sein de la faculté dont j’ai été le Doyen de 1958 à 1970. Ces cours n’avaient alors aucun caractère obligatoire, et cependant les amphis étaient remplis de jeunes gens et de jeunes filles intéressés à n’être pas limités aux disciplines fondamentales. Ce type de cours fut repris par d’autres Universités pionnières, avant leur officialisation au niveau national. Un décret ministériel instaura en effet un enseignement de culture générale correspondant à 20% de la note du concours de fin de première année de médecine. En 1994 vint l’intitulé «sciences humaines et sociales» qui a remplacé le trop vague «culture générale». Je dois mentionner que nombre de facultés se sont trouvées dans l’embarras quant à l’enseignement de ces cours devenus officiels.

Mon livre s’inscrit donc dans une logique de revirement: on a pris conscience que les sciences fondamentales, qui donnent de l’être humain une image réduite et fragmentée, ne préparent pas le médecin à affronter des problèmes sociaux et moraux.

Vous pensez qu’un médecin sensibilisé par exemple en anthropologie peut être plus compétent qu’un autre qui n’aurait aucune bases en cette discipline?

Les études de médecine forment les étudiants à un métier. Elles leur procurent des savoirs et des savoir-faire. Je pense qu’au cours de ce siècle on a oublié dans la formation le savoir-être. Oui je crois qu’une formation en anthropologie, et plus précisément en anthropologie médicale, peut permettre à des médecins d’être à la fois plus efficaces et plus humains dans l’exercice de leur métier. Le fait que nos sociétés modernes soient multiculturelles ne fait d’ailleurs qu’ajouter à cette réponse positive. Avant de former des techniciens – qu’ils soient médecins, ingénieurs, juristes, etc. – il faut former des esprits !