13 mai 2024

Prévention en santé au travail, un enjeu politique

À propos de l’ouvrage La santé au travail en danger : Dépolitisation et gestionnarisation de la prévention des risques professionnels, de Blandine Barlet, éditions Octarès, 2019, 180 pages, préface de Nicolas Sandret, postface de Valérie Boussard.

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, juin 2019.

B. Barlet en 5 dates:

  • 2000: découverte de la sociologie à l’Institut d’études politiques de Bordeaux.
  • 2006: collaboration à un projet de recherche-action au Cameroun.
  • 2010: début du travail de terrain dans les services de santé au travail.
  • 2015: soutenance de thèse de sociologie à Nanterre sous la direction de Valérie Boussard.
  • 2016: premières interventions en entreprise (expertises CHS-CT).

Perspective:

Blandine Barlet, sociologue et intervenante en santé au travail, est actuellement post-doctorante à l’IRISSO, Université de Paris 9-Dauphine

À partir d’une enquête de terrain menée auprès des acteurs de la prévention, l’auteure analyse l’évolution du système de médecine du travail vers un système de santé au travail. Les leçons qu’en tire B. Barlet renvoient aux conséquences de la tendance à se focaliser principalement sur les outils, la méthode, sur le « comment », plutôt que sur le « pourquoi », voire le « pour qui » de la prévention.

Interview:

Quelles questions abordez-vous dans ce livre?

Le livre aborde les évolutions récentes de l’organisation du système de prévention des risques professionnels français. Par le jeu de réformes successives, des services qui anciennement n’employaient que des médecins du travail sont devenus pluridisciplinaires. La médecine du travail souffrant d’un manque de main-d’œuvre et d’un déficit de légitimité (qui a notamment été ébranlée par la médiatisation de l’exposition des travailleurs à l’amiante), l’arrivée de nouveaux types de personnels doit répondre à une forme de crise de la prévention des risques professionnels. Mais les nouvelles collaborations peinent à se mettre en place, car des conflits affleurent entre les groupes professionnels au sujet de la division du travail. Le débat se centre désormais sur la pluridisciplinarité et ses modalités de mise en œuvre, ce qui participe d’une dépolitisation des enjeux de santé au travail.

Qu’entendez-vous par « dépolitisation » et par « gestionnarisation » ?

La mission des services de santé au travail plonge de fait les acteurs au cœur d’enjeux politiques de l’entreprise, tout simplement parce que la protection de la santé des salariés entre parfois en contradiction avec les exigences de production ou de productivité de l’entreprise. Les évolutions actuelles, en même temps qu’elles introduisent un nouveau personnel dans les services de santé au travail, orientent les missions des équipes vers de la prestation de services à l’employeur. L’idée que la cotisation au service de santé au travail donne droit à des prestations impose une conception gestionnaire des risques, et de la prévention en santé au travail. Il s’agit pour les différents professionnels d’accompagner les entreprises dans leur gestion des risques. Dans ce contexte, la question de la division du travail de prévention se pose de manière très technique et «dépolitisante». Les conflits qui déchirent le milieu de la santé au travail se présentent à première vue comme des conflits portant sur les manières de faire, pas sur le fond. Or, en les analysant, on voit très vite ressurgir des questions qui tiennent moins à la division du travail et au maintien de prérogatives professionnelles qu’à des postures éthiques et politiques se rapportant à différentes conceptions de la mission de prévention.

Êtes-vous en faveur d’un retour à un modèle centré uniquement sur le médecin?

Pas du tout. Il est évident que le domaine de la santé au travail est en lui-même pluridisciplinaire et que les apports de l’ergonomie, de la toxicologie, de la psychologie peuvent être très précieux pour les salariés et les organisations. Par ailleurs, les possibilités de collaborer avec des infirmières, mais aussi l’appui des assistantes, sont de mieux en mieux accueillies par les médecins, car ils augmentent leur capacité d’action.

Ce que l’ouvrage questionne, c’est le contexte de la mise en place de ces nouvelles collaborations. Leur cadre légal et organisationnel est-il propice à une protection de la santé des salariés, sérieusement mise à mal par les conditions physiques et psychosociales de travail? Face à l’ampleur des aspects pathogènes du travail, il me semble qu’il serait utile d’admettre que leur prévention est un enjeu politique et non pas simplement technique. Et que l’objectif à atteindre gagnerait à être davantage débattu. Un système «efficace» dans l’assistance des employeurs dans leur responsabilité de gestion des risques est-il suffisant ? Je pense que non, et que la protection des salariés des atteintes dues à leur travail ne peut être réduite à une simple gestion des risques de la part des employeurs. Elle implique de se donner les moyens de prendre position pour le respect de l’intégrité physique et mentale des salariés. Pour l’instant, les médecins sont les plus à même de tenir cette posture.