13 mai 2024
Micheletti La Polyvalence

Polyvalence et principe de prudence

À propos de l’ouvrage La polyvalence sous toutes ses facettes: une gestion des compétences plus efficace, de Patrick Micheletti, éditions d’Organisation, 2002, 192 pages.

Compte-rendu paru dans les pages Carrière du journal Le Temps, rubrique Le livre de la semaine, le 12 avril 2002.

Voici l’un des rares ouvrages portant sur la polyvalence, terme qui rime avec flexibilité, compétences et employabilité. En un mot, avec adaptabilité. L’objectif de l’auteur de La Polyvalence sous toutes ses facettes se concentre sur la réponse à la double question suivante: «Dans quelle mesure les individus peuvent-ils faire état de l’ensemble des éléments personnels et professionnels susceptibles d’influer sur leur avenir professionnel; dans quelle mesure les structures peuvent-elles en avoir connaissance et les exploiter au mieux de leurs intérêts et de leurs salariés?»

Dans les trois premiers chapitres de son livre, Micheletti situe précisément l’intérêt actuel de cette modalité organisationnelle et son souci de sortie de la spécialisation tayloriste pour une adaptabilité professionnelle permanente. L’auteur prend particulièrement soin de définir les différents termes, dont ceux de métier et de qualification (que l’on tente de remplacer par celui plus dynamique de compétence) ne sont pas les moindres. Puis il aborde les diverses façons d’appréhender ladite polyvalence, notamment: la multivalence (ce qui revient en fait à l’enrichissement et à l’élargissement des tâches), et la polycompétence (qui constitue en revanche un véritable supplément par rapport au métier de base). Il évoque aussi les résistances à des mises en place d’organisations du travail flexibles, conseillant particulièrement de ne rien mettre en place qui provoquerait des perturbations graves dans la structure que l’on veut modifier. Ce principe de prudence qui revient à quelques reprises au fil du livre mérite d’être souligné.

Dès le chapitre IV, Micheletti inscrit sa problématique dans le cadre de l’anticipation des ressources humaines, et plus précisément de l’instrument que connaissent tous les DRH (directeurs et directrices des ressources humaines): la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Il propose le concept de multipolarité professionnelle qui renvoie de façon directe à la double question posée au début de ces lignes. Citons de nouveau Micheletti: «Le nouveau concept de multipolarité professionnelle part de l’ancien concept de polyvalence professionnelle pour arriver vers une définition plus précise de l’adaptation d’un individu à différentes tâches d’exécution et de conception. Il s’accompagne d’une batterie de critères issue de la GPEC, dans un souci d’évolution et de reconnaissance de ce concept au sein du monde du travail qui en est fortement demandeur.» Dès lors, l’auteur argumente en faveur de la polyvalence en proposant une méthodologie de mise en place d’une telle structure et en analysant les conséquences sur la qualification et la formation des salariés, avant d’aborder finalement la recomposition du management des hommes et des organisations.

Il y a peu d’ouvrages portant sur la polyvalence, c’est pourquoi celui-ci est à même de nourrir un débat sur le sujet. Il rejoint sans doute le problème de la gestion des savoirs, c’est-à-dire la nécessité de dynamiser les savoirs et les connaissances lorsque la capitalisation ne s’effectue plus efficacement. Cela implique à coup sûr de nouveaux rôles, comme l’indique l’auteur, lesquels nécessitent, pour exister, une vision qui soit la plus globale possible, aussi bien sur le plan organisationnel que sur celui des identités. C’est ici que le livre de Micheletti nous semble marquer une limite. En effet, la dynamique des connaissances n’est pas un objet en soi mais renvoie à des parcours et donc à des aspects identitaires. Autrement dit, c’est en termes d’investissements subjectifs liés aux métiers que doit être entreprise la polyvalence. Au final, on rejoindra le principe de prudence de l’auteur tant il est vrai que, pratiquement, bien des réorganisations sont lancées à tort et à travers et ne sont pas plus pertinentes au plan organisationnel qu’elles ne sont acceptables par les intéressés.