15 mai 2024
Peter Drucker

Le management selon Drucker

À propos de l’ouvrage L’éclaireur du présent, de Jack Beatty: Drucker, éditions Village Mondial, 1998, 208 pages.

Compte-rendu paru dans les pages Carrière du journal Le Temps, rubrique Le livre de la semaine, le 30 octobre 1998.

Drucker est l’un des personnages les plus connus dans le domaine du management. Rendu célèbre pour avoir écrit en 1954 un livre considéré comme un des classiques de la littérature managériale, La pratique de la direction des entreprises, il y décrivait la nécessaire décentralisation des décisions et y développait le fameux «management par objectifs». L’heureuse biographie de Jack Beatty permet de se faire une idée à la fois plus large et plus précise de ce gourou du management. Né en Autriche à la fin de la première décennie de ce siècle, Drucker est élevé dans une famille viennoise aisée, intéressée par les idées et la culture. Il émigre à vingt ans révolus en Allemagne où il travaille, tout en poursuivant ses études. Beatty retrace la vie de cet homme tôt marqué par la guerre et la montée du nazisme, qui, au début des années 30, décide de fuir en Angleterre, puis de s’installer définitivement dans un monde nouveau: les États-Unis. Avant de s’intéresser au management – au grand dam de ses amis et collègues universitaires qui ne trouvaient pas cela fort sérieux –, Drucker écrit d’abord des ouvrages d’analyse sociale et politique. Impressionné par l’importance que revêtent les grandes organisations industrielles dans une société moderne, il les considère comme des institutions apparues pour jouer le rôle social central qu’occupait le marché. Il décide donc d’aller voir ce qui se passe à l’intérieur d’une entreprise phare, la General Motors, dirigée par le mythique Alfred Sloan. Dans la foulée de cette expérience, il écrira un livre, The Concept of Organization (1945), où il avance qu’il convient de prendre en compte le travail comme une ressource et non comme un coût, ou encore, que l’entreprise doit être concernée par l’intérêt général. Idées entachées d’utopie: fraîchement reçues. Capitaliste aussi tiède que pragmatique – puisque ça marche! –, pédagogue hors pair, l’homme est surtout un moraliste. Jack Beatty met bien en valeur ce trait. Drucker n’a ainsi jamais hésité à choquer certaines sensibilités, affirmant par exemple que l’État n’est pas un mal nécessaire, mais un bien désirable, ou encore que l’économie est faite pour servir la communauté et la société. «Vieux conservateur» ainsi qu’il se définit lui-même, il présente des idées parfois contradictoires, et ses formules ont, parfois, des accents marxiens: diversement appréciés.