14 mai 2024
Logiques de la précarité

Logiques de précarité

À propos de l’ouvrage Le salarié de la précarité: les nouvelles formes de l’intégration professionnelle, de Serge Paugam, Presses universitaire de France, 2000, 440 pages.

Compte-rendu paru dans les pages Carrière du journal Le Temps, rubrique Le livre de la semaine, le 26 août 2000.

Dans son précédent ouvrage La disqualification sociale: essai sur la nouvelle pauvreté, Serge Paugam appréhendait l’exclusion comme une disqualification sociale, c’est-à-dire comme «le processus de refoulement hors du marché de l’emploi et les expériences vécues de la relation d’assistance qui en accompagnent les différentes phases». Dans son nouveau livre, Le salarié de la précarité, il met en évidence les ombres du monde professionnel, marqué par une difficile tension entre des contraintes de production de plus en plus fortes et une sérieuse augmentation de l’insécurité de l’emploi. L’ouvrage est basé sur une enquête effectuée à partir d’un échantillon de mille salariés, sur des monographies d’entreprises et sur des statistiques macroéconomiques.

L’auteur propose une grille d’analyse en opérant une distinction entre deux notions. Celle de «rapport au travail» d’abord, auquel renvoie le critère de satisfaction (le rapport de travail est alors positif) ou d’insatisfaction (s’il est négatif). Celle de «rapport à l’emploi» ensuite, auquel renvoie le critère de stabilité (si le rapport à l’emploi est positif) ou d’instabilité (s’il est négatif). Serge Paugam introduit la notion de «rapport à l’emploi» pour «démontrer que les formes contemporaines de l’intégration professionnelle sont liées à la fois aux transformations de l’organisation du travail – ce qui implique une analyse des rapports de production – et aux transformations des situations par rapport à l’emploi –, ce qui nécessite une analyse du degré de protection des salariés face aux aléas du marché.»

À partir de cette grille d’analyse, quatre modes typiques d’intégration sont induits: l’«intégration assurée» lorsque les deux critères sont positifs (42% des cas, d’après les résultats de l’enquête); l’«intégration incertaine» lorsque le premier critère est positif et le second négatif (18% des cas); l’«intégration laborieuse» dans le cas inverse (20%); l’«intégration disqualifiante» lorsque les deux critères sont négatifs (20% de l’ensemble des salariés!). Ce chiffre est impressionnant: il montre qu’une personne sur cinq ayant un emploi vit dans la précarité. L’intérêt du livre est de montrer clairement que la disqualification sociale ne touche pas uniquement les personnes au chômage, mais une partie toujours plus grande des travailleurs.