14 mai 2024
Le gouvernement de l'entreprise

Gouvernance et finance

À propos de l’ouvrage Le gouvernement de l’entreprise comme idéologie, Yvon Pesqueux, éditions Ellipses, 2000, 272 pages.

Compte-rendu paru dans les pages Carrière du journal Le Temps, rubrique Le livre de la semaine, le 29 septembre 2000.

Pourquoi la stricte logique financière submerge-t-elle tous les domaines de l’activité sociale et politique? C’est ce que le récent ouvrage de Yvon Pesqueux permet de comprendre. Ce solide théoricien (professeur aux HEC de Paris et au Conservatoire national des arts et métiers) soutient que l’on est passé d’un modèle ingéniérique de l’entreprise – basé sur les processus – à un modèle financier – basé sur le seul profit. Il s’attache justement à mettre au jour les sources idéologiques de cette version contemporaine du gouvernement de l’entreprise (Corporate Governance), à travers une analyse de la rente financière.

Un mouvement de balancier entre deux types de rente scande le XXe siècle, rappelle-t-il: l’une est dite positive – lorsque le taux d’inflation est inférieur au taux d’intérêt –, l’autre négative – à l’inverse. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, un mouvement de rente négative vertueuse, stimulant notamment la croissance, a été amorcé, qui a porté ses fruits jusqu’au milieu des années 70. Dès le début des années 80, à la suite d’une période de récessions, réapparaît une rente positive: les taux d’intérêt supérieurs au taux d’inflation permettent de gagner de l’argent avec de l’argent, sans rien produire. Remontant plus profond dans le siècle, l’auteur montre que les marchands de canons ont auparavant eux aussi bénéficié de situations – de rente positive –, avec les conséquences que l’on sait: deux guerres. Pesqueux émet ainsi au passage la thèse de la violence de la rente financière.

Dans la foulée, notre auteur montre la particularité de la rente actuelle, liée à un capitalisme mutualiste – au sens de mutualisation du risque – avec les fonds de placement et notamment les fonds de pension. Créés dans le domaine de la bancassurance, ces derniers se caractérisent par la concentration d’un pouvoir politique et financier. Directions générales de compagnies et gestionnaires desdits fonds fonctionnent ainsi selon une logique de maximisation du profit financier; les outils financiers servent d’ailleurs l’analyse de cette rente financière – autrement dit: de la valeur actionnariale. Et, pour faciliter l’exercice de cette logique et avoir un contrôle plus étroit de cette rente, on assiste à la participation des acteurs de ces fonds de placement dans les conseils d’administration des compagnies, et à l’exigence de taux de rentabilité de plus en plus élevés. Yvon Pesqueux montre notamment que les entreprises multinationales dont les dirigeants se connaissent et se fréquentent ont tendance au cartel, ce qui ne manque pas de conduire à un anéantissement de la compétition… contrairement au discours idéologique asséné!