14 mai 2024
Ass médecine du travail

Femmes et travail, question de santé publique

À propos de l’ouvrage Femmes au travail, violences vécues, de Ève Semat (Association Santé et médecine du travail), éditions Syros 2000, 322 pages.

Compte-rendu paru dans les pages Carrière du journal Le Temps, rubrique Le livre de la semaine, le 23 juin 2000.

Femmes au travail, violences vécues (2000) est le troisième ouvrage écrit par des membres de l’association «Santé et médecine du travail» (SMT). Les deux précédents, Souffrance et précarité au travail (1993) – un essai comprenant des monographies dont le style renvoyait essentiellement à une éthique du témoignage –, et Des médecins du travail prennent la parole: un métier en débat (1998) – un ouvrage contenant de nombreux cas pratiques à l’ambition analytique néanmoins plus affirmée –, donnaient déjà la pleine mesure des dégâts sur la santé, provoqués par la précarisation des emplois, l’intensification du travail et la violence des rapports sociaux dans l’entreprise. Ces trois ouvrages sont portés par une question et un constat majeurs. La question d’abord: faut-il accepter la subordination grandissante de la pratique médicale d’entreprise au primat de l’économie? Il faut en effet savoir que chez nos voisins deux principales configurations peuvent exister dans le champ professionnel de la médecine du travail. Soit les médecins travaillent pour le compte d’une seule entreprise dont ils sont directement salariés – lorsqu’il s’agit de grands groupes –, soit ils travaillent pour une kyrielle d’entreprises et sont alors salariés d’un service interentreprises – lorsqu’il s’agit de PME. Mais, dans tous les cas, ils sont directement ou indirectement salariés, les employeurs dirigeant et gérant de fait la médecine du travail. La plupart de ces professionnels paraissent s’accommoder de cette situation, mais pas les membres de l’association SMT. Pour eux cette situation n’a plus sa raison d’être. Ainsi, plutôt que s’inscrire dans une logique d’entreprise, en estimant que leur métier est d’accompagner le développement de l’entreprise, ils pensent au contraire que leur métier consiste à accompagner la construction de la santé des sujets au travail. Pour cela, ils défendent l’idée que la médecine du travail doit devenir une question de santé publique, et non plus s’envisager dans l’espace clos des entreprises. D’ailleurs, comment cela serait-il possible puisque de nombreux travailleurs sont «externalisés» – sous-traitance, emplois hors normes –, et n’ont donc plus toujours de donneurs d’ordre? Le constat ensuite: la violence et la précarisation concernent d’abord les femmes, touchées sur leur être autant que sur leur capacité de faire. Femmes au travail comprend quatre parties. La première, et la plus importante, expose des récits de la violence ordinaire. Elle est suivie par trois autres parties: au-delà des témoignages; mise en perspective sociale; clinique, métier et action. Ce livre est une pièce de plus au dossier de la barbarie au quotidien.