15 mai 2024

Lire James March

À propos de l’ouvrage de Thierry Weil : Invitation à la lecture de James March, Réflexions sur le processus de décision, d’apprentissage et de changement dans les organisations, Presses de l’École des Mines de Paris, coll. «Sciences économiques et sociales», 2000

Paru dans le cahier CARRIÈRES du journal Le Temps du 1er décembre 2000, chronique «Le Livre de la semaine»

Dans le cours de leadership qu’il dispense à Stanford une année sur deux, James March fait lire à ses étudiants des œuvres littéraires parmi lesquelles: «Don Quichotte» de Cervantès, «Guerre et paix» de Tolstoï, «Othello» de Shakespeare et «Ste Jane» de Shaw. Quel meilleur moyen pour mettre les jeunes gens en garde contre la folle tendance à toujours vouloir chercher la cohérence au prix d’un déni des tensions et des conflits qui sont la vie même. Pour James March, en effet, les hommes ressemblent davantage à de véritables acteurs qu’à des calculateurs de préférence; et ils s’organisent davantage à travers le débat qu’à travers l’échange.

À défaut de connaître parfaitement ses travaux, tout gestionnaire ou étudiant-gestionnaire devrait au moins avoir entendu ou vu le nom de March. Accolé à ceux de Simon ou Cyert, probablement. James March a en effet écrit, avec l’un et l’autre, des textes classiques de la théorie des organisations, incontournables. Par exemple: «Les organisations» écrit avec Herbert Simon et dans lequel les auteurs introduisent le fameux concept de «rationalité limitée»; ou «La théorie comportementale de la firme» écrit avec Richard Cyert et dans lequel apparaît la notion d’«ambiguïté des choix». Ces trois théoriciens, considérés comme étant les fondateurs de l’école de la décision, ont travaillé, avec d’autres auteurs également célèbres aujourd’hui, au sein du fameux Institut de Carnegie dans lequel continue d’ailleurs d’œuvrer le pionnier Herbert Simon auquel a été décerné le Prix Nobel de sciences économique en 1978.

La mise en perspective faite par Weil de l’homme et de son œuvre est unique, autant par sa qualité que parce le fait qu’il est le seul livre existant au sujet de James March sur le marché, toutes langues confondues. Dans une première partie, «Révolutions chez les rationalistes», Weil retrace la période allant de 1953 à 1975. On y découvre March dès ses primes recherches, ce qui permet de saisir à la fois la constance de l’auteur, ainsi que la variété et la richesse de ses travaux. Le deuxième chapitre est consacré à «La méthode». Ici, c’est la conséquence qui marque. Quel que soit le genre abordé, dans ses articles et ouvrages en théorie des organisations et en sciences sociales, ou (étonnamment) dans ses recueils de poésie, ce qui importe à March, c’est d’être exigeant. Il a le souci de ne pas mélanger les genres. La troisième partie de l’ouvrage de Weil, «Approfondissements et synthèses», est consacrée à la période allant de 1975 à aujourd’hui, durant laquelle March s’est affirmé comme un initiateur fécond dans les théories de l’apprentissage et du changement collectif. «Enseignement et philosophie» est le titre du quatrième et dernier chapitre. Le management a aussi son histoire, dont Thierry Weil montre une épaisseur.