14 mai 2024
xi jinping

Les habits neufs du grand timonier

À propos de l’ouvrage Dans la tête de Xi Jinping, de François Bougon, éditions Actes Sud, 216 pages, ISBN 978-2-330-08229-1

Compte-rendu paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, septembre 2018.

Un ouvrage paru deux mois avant la réélection de Xi Jinping porte sur la trajectoire politique ambitieuse et raisonnée du désormais homme le plus puissant du monde

«Obtenir un contrôle total sur l’écriture de l’histoire est un enjeu essentiel, où les méthodes du matérialiste historique ne sauraient être mises à mal par des conséquences de modes intellectuelles importées d’Occident.»

« Un dirigeant chinois promis à devenir, à court terme, l’homme le plus puissant du monde doit se prévaloir de solides convictions », défend l’auteur de cet ouvrage. Spécialiste de l’Asie, ancien correspond à Pékin du journal Le Monde, François Bougon a publié son livre-point au dernier trimestre de l’année dernière, précisément deux mois avant la réélection de Xi Jinping à la présidence, ce qui rend son ouvrage et les analyses qu’il contient d’autant plus intéressant et pertinent pour comprendre les ambitions colossales de Xi, toujours prêt à endosser les « habits neufs » du Grand Timonier. Xi Jinping, secrétaire général du Parti communiste chinois, est conscient – pour reprendre les propos de Bougon – que « remplacer Les Citations du président Mao Tsé-toung, le fameux Petit Livre rouge, par les Entretiens de Confucius ne suffit pas et que le corpus idéologique doit être à la hauteur de l’enjeu. » Selon Xi, affirme l’auteur, « la tâche principale pour les sciences sociales et philosophiques est non seulement de maintenir le marxisme comme notre idéologie directrice, mais aussi de s’engager dans une critique significative des “valeurs universelles”, du concept de “démocratie constitutionnelle”, du néolibéralisme, du nihilisme historique, du socialisme démocratique et autres idéologies erronées. Nous devons avoir une foi infaillible dans le socialisme à caractéristiques chinoises. » Un « marxisme droit dans ses bottes », ajoute l’auteur, doit réussir sa synthèse avec la tradition chinoise illustrée par Confucius ou Mencius, mais aussi par Han Fei (mort en 233 av. J.-C.). Cette réhabilitation de la pensée du philosophe favori de Xi Jinping, concepteur du légisme, qui prône la primauté de la peur, de la force et du contrôle pour servir l’autorité, fait dire à certains que l’on assiste à l’avènement d’un “nouveau totalitarisme de marché”, un totalitarisme adapté au XXIe siècle – le prix à payer pour le “rêve chinois” ». Dans son ouvrage, l’auteur va mettre au jour les fameuses solides convictions de l’empereur communiste. Traversons l’ouvrage.

En introduction, un rappel, l’homme fort chinois, « rouge de la deuxième génération » dont le père a joué un rôle dans l’histoire de la République populaire de Chine aux côté de Mao, a pris les rênes du parti en 2012 – après Mao et Deng Xioping, puis Jiang Zenin (1989-2002) et Hu Jintao (2002-2012). Il a été élu une année après à la présidence du pays. Dès le premier chapitre est mis au jour une réflexion qu’un intellectuel du régime, Wang Huning, au milieu des années nonante a soulevée : pourquoi la Chine, une civilisation vieille de plus de deux mille ans, a pu sombrer dans le déclin et pourquoi les États-Unis, jeune pays de deux cents ans, ont pu devenir la puissance mondiale ? Ce sujet est devenu, explique l’auteur une véritable hantise. L’universitaire de Shanghai écrivait « qu’un intellectuel vivant au XXe siècle a le devoir d’étudier ces deux phénomènes », rajoutant que tout intellectuel chinois doit le faire comme « un moyen de mieux connaître le monde et soi-même et d’explorer le chemin de la Chine vers la puissance et la prospérité. » Le « rêve chinois » prend alors corps dans les discours de Xi Jinping comme une référence, en forme de pied de nez, au rêve américain, signalant clairement que les États-Unis sont le véritable rival. Le deuxième chapitre va montrer que loin d’être le Gorbatchev de la Chine, le nouvel homme fort est plutôt son contraire, puis il met en avant la singularité du modèle politique chinois comme l’horizon intellectuel et politique du dirigeant et sa façon de jouer de son histoire personnelle. Dans le quatrième chapitre, l’auteur montre que dans la Chine de Xi, il n’est pas question de toucher aux grands hommes et à leur part légendaire au risque de subir punition ou châtiment. Obtenir un contrôle total sur l’écriture de l’histoire est assurément un enjeu essentiel, où les méthodes du matérialiste historique ne sauraient en aucun cas être mises à mal par des conséquences de modes intellectuelles importées d’Occident, par exemple le nihilisme historique – selon le langage officiel. Dans les cinq chapitres suivants, F. Bougon nous aide à saisir les éléments-socle des convictions du président chinois : l’importance du père, rouge de la première génération et compagnon de Mao – ayant cependant subi une disgrâce et son fils une blessure ; un respect des héros et une foi inébranlable en la geste révolutionnaire ; le retour des classiques et particulièrement celui de Confucius, devenu pour ainsi dire membre du parti… L’auteur précise aussi les tenants et aboutissants de la guerre culturelle que Xi Jinping a gouverné au sein du parti lorsqu’il en était le secrétaire général. L’ouvrage se termine par deux chapitres : dans l’un, il indique que la posture basse est révolue et dans l’autre, il interroge les idées de l’« Xi-isme ».

Ni complètement à droite où est défendue une évolution constitutionnelle, ni complètement à gauche où on range les nostalgique d’un maoïsme autoritaire, rien ne laisse penser à de nombreuses personnes dont l’auteur de l’ouvrage que l’actuel homme fort chinois soit l’auteur d’une synthèse. Il bricole, écrit Bougon, louvoie, cherche l’équilibre en donnant des gages aux uns et aux autres. Xi Jinping permettra-t-il au parti de ne pas se laisser déborder par une société en mouvement, c’est la grande question que pose finalement l’auteur qui conclut ainsi quant à la capacité à conjuguer le néo-autoritarisme et l’innovation technologique : « en cas de réussite, ce serait, si l’on ose dire, la dictature parfaite du XXIe siècle ».