14 mai 2024
point de vue

L’ergonomie au XXIème siècle entre complexité, interdisciplinarité et expertise

Article signé avec Carole Baudin, Christian Voirol (HES-SO) et Thomas Stüdeli (SwissErgo) et paru en novembre 2014 dans le supplément mensuel Indices du journal L’Agefi.

 

À l’heure de la mondialisation et du tout virtuel, à l’heure où les géographies s’étendent et les temps se compriment, il est crucial pour les entreprises et les institutions de capitaliser autour des talents des personnes qui les constituent. Ainsi, l’efficience et la performance d’une organisation, pour être optimales, doivent satisfaire aux besoins des travailleurs et des clients. L’optimisation des résultats dans ces différentes dimensions potentiellement antagonistes est un exercice complexe. Ainsi, les paramètres qui caractérisent le monde du travail contemporain – mobilité et mondialisation, interculturalité des milieux de travail, précarisation et volatilité des statuts, permanence des changements, réaménagement des structures hiérarchiques, obsolescence accélérée des compétences et des savoirs, pratiques interdisciplinaires, diversité et multiplication des facteurs de risque, etc. –, confrontent les acteurs du monde du travail à une multitude de défis inédits.

Cette complexification croissante des conditions de travail rend la tâche des spécialistes de la prévention de plus en plus ardue. En effet, alors que la diversité et la multiplicité des facteurs de risque auxquels sont exposés les travailleurs requièrent un élargissement des perspectives prises en compte dans les démarches de prévention, il apparaît que, simultanément, la complexité des facteurs de risque à considérer exige une spécialisation accrue des intervenants. Ce double mouvement d’élargissement des perspectives et d’approfondissement des expertises disciplinaires, conduit les préventionnistes à devoir développer un vaste socle de connaissances communes nécessaire à une collaboration interdisciplinaire performante, tout en développant une expertise disciplinaire spécifique leur permettant d’appréhender un risque particulier dans toute sa complexité. La prise en compte de cette complexité ne peut plus se penser par une simple juxtaposition de compétences disciplinaires et il y a lieu de mobiliser des outils, des méthodes et des stratégies interdisciplinaires dépassant les frontières traditionnelles des spécialités.

C’est dans cet esprit que la nouvelle vision de l’ergonomie se développe depuis quelques années. Évidemment, cette nouvelle réalité de l’activité de prévention et de gestion des risques professionnels vient inévitablement questionner la formation que doivent recevoir les ergonomes du XXIème siècle. Ainsi, lorsqu’une entreprise engage un ergonome, elle peut légitimement s’attendre à ce que ce professionnel soit minimalement capable d’analyser l’ensemble des risques auxquels ses employés sont potentiellement exposés. Aux confluents de la santé et de la sécurité au travail, de l’optimisation organisationnelle, de l’adaptation et de l’innovation de produits, l’ergonomie recouvre plus que jamais son origine étymologique: les règles favorisant l’adaptation du travail – l’environnement, le processus et les outils – à l’Être humain.

Naguère, la Suisse a été leader dans le domaine de l’ergonomie. On peut citer par exemple, les travaux d’Étienne Grandjean à l’École Polytechnique Fédérale de Zurich et ceux de Paule Rey à l’Université de Genève. On peut même citer les travaux de Le Corbusier dans le domaine de l’architecture et du design, et d’autres encore… Mais petit à petit, cette discipline s’est laissée marginaliser et a perdu de son influence. Pourtant, les ergonomes du XXIème siècle offrent une diversité d’expertises et de compétences interdisciplinaires propres à appréhender la complexité des défis du monde du travail contemporain. Mais l’important champ d’action auquel renvoie cette nouvelle acceptation de l’ergonomie reste encore largement méconnu du monde entrepreneurial et institutionnel suisse. Dès lors, il y a lieu de rompre avec la caricature laissant penser que l’ergonomie se limite à l’ajustement de la hauteur de la chaise du bureau ou à l’aménagement du poste informatique!

C’est pourquoi la Haute école Arc, à travers ses différents domaines (ingénierie, gestion et santé), et la société faîtière des ergonomes SwissErgo, se sont alliées pour faire connaître cette discipline stratégique pour les entreprises et les organisations, tant du point de vue de leur performance, que de leurs produits et services. La série «L’ergonomie au service de l’économie» a précisément montré, à travers cinq articles parus dans les colonnes du quotidien du lundi 27 au vendredi 31 octobre, la diversité de ces champs d’action. De plus, SwissErgo et la HE-Arc organisent une journée visant à présenter la palette des différentes formes d’intervention que propose l’ergonomie, à identifier les besoins des organisations helvétiques en la matière et à définir l’offre de formation susceptible de satisfaire ces besoins.