14 mai 2024
nouvel exercice du pouvoir

Le pouvoir déplacé

À propos de l’ouvrage Vers un nouvel exercice du pouvoir, de Sylvie de Frémicourt, éditions EMS / Management et Société, 230 pages.

Interview paru dans le quotidien L’Agefi du 11 avril 2018.

Perspective:

Sylvie de Frémicourt est coache de manager et dirigeant depuis plus de 25 ans.

Ce que défend l’auteure c’est que la période depuis le tournant des 20e et 21e siècles fonde un nouvel exercice du pouvoir, lequel modifie profondément les relations humaines et l’autorité dans les entreprises. Où les rôles des managers changent et se déplacent. Elle montre comment comprendre les nouveaux enjeux.

Interview:

Votre ouvrage offre le regard d’une coach sur les évolutions du monde actuel, n’est-ce pas ?

Oui, ma plume a prolongé mon œil de coach, car dans ces environnements de grands groupes que je décris, je ne suis ni juge ni partie. J’ai, en revanche, une place privilégiée pour observer ce qui s’y joue. J’observe notamment une reconfiguration des modalités de l’exercice du pouvoir et notre époque a ceci de fascinant qu’elle marque un temps fort où chacun pourra y rebattre ses cartes pour jouer différemment dans un environnement qui se reconfigure… Le nouveau pouvoir consiste à faire bouger l’autre « autrement » et non pas forcément davantage. Il convient pour cela de comprendre les cercles qui fécondent l’autonomie, la créativité et la coresponsabilité, cela requiert d’autres postures que celles qui s’exerçaient autrefois. La disruption digitale a fait éclater la rétention des données, et déplacer la valeur ajoutée à sélectionner, comprendre et décider. Et le concept de l’empowerment (mettre en pouvoir et se mettre soi-même en pouvoir) est une clé vertueuse pour interagir sur les systèmes qui se mettent en place.

Chacun, en agissant, peut exercer un pouvoir sur lui-même (puisqu’il s’y mobilise), sur l’autre (puisqu’il l’impacte) et sur l’environnement (qui s’en voit modifié), ces mécanismes connectés et subtils requièrent un travail permanent d’hygiène de soi et de son environnement. Car nous sommes avant tout des systèmes qui nous alimentons, digérons et expulsons à partir de cela. Se nourrir implique d’avancer en conscience dans les différentes étapes du cycle de l’alimentation, car tout va si vite, avec tant de complexité et d’incertitude que nous pouvons aussi vite nous empoisonner que nous épanouir en quelques gorgées !

Quelles sont les conséquences, les changements de modalités de l’exercice du pouvoir ?

Les « conséquences » sont en réalité plutôt des « boucles rétroactives », car nous ne procédons plus par séquences aujourd’hui, la matière laisse place aux flux. Se mouvoir et se connecter dans la fluidité ne procède pas de la même manière de faire qu’imposer et contrôler. Aujourd’hui, on a conscience, à tout moment, que faire bouger ce qui devient sa trajectoire prévaut sur le fait d’impacter ce qui pourrait figer.

Un autre paradigme change aussi : le rôle tenu importe plus que le statut (qui disparaîtra bientôt). Chacun peut à un moment de sa vie tenir un rôle de référent, dans une légitimité contextualisée. L’autorité pure et dure sur l’ensemble tend à s’effacer, ce qui ne veut pas dire qu’elle disparaît.

Par exemple, il est intéressant d’observer dans les grands groupes, qu’en haut, les dirigeants fonctionnent encore en vertical (pour injecter ou extraire ce dont ils ont besoin, sur un temps lié à l’extérieur, et qui est relativement binaire : le marché, le profit, leur stratégie de développement, autre). Ils installent simultanément, un toit horizontal qui cadre les mouvements engendrés (c’est le transverse, le support…).

Tandis qu’au centre de l’entreprise, les managers opèrent de plus en plus en mode projet, sur un temps lié à l’intérieur et l’extérieur, à la fois, dans un mouvement circulaire et complexe (où se déploie l’agilité). Ils évoluent comme dans un grand ballon.

Enfin, en dessous de cette « bulle », certains se sentent asphyxiés, car ils n’ont pas compris la complexité nouvelle du mouvement, et peuvent se surprendre à rêver qu’un vertical bienveillant pouvait pourvoir à leurs besoins !…

De quoi se nourrissent aujourd’hui managers et dirigeants en matière de courants philosophiques et politiques ?

Chaque époque est brassée par des courants, qui la dépassent et l’entraînent. Nos managers se nourrissent des concepts d’agilité, d’empowerment, qui les font avancer « avec » les autres. Ils déploient beaucoup de créativité à démultiplier leurs actions et celles de leurs collaborateurs, dans un environnement très VUCA (Vulnerability, uncertainty, complexity, ambiguity). Les dirigeants sont à la fois conceptuellement dans ces mêmes mouvements, et concrètement confrontés à des violences toujours plus fortes, rapides et incertaines à l’extérieur qui les amènent à renforcer leur fonctionnement de prédateur ou de chef de meute. Ces courants nous font réfléchir à organiser les données autour d’une information et d’une solidarité à valeur ajoutée, et cela apporte déjà des trésors…

Mais il ne faudra pas oublier non plus que de tels changements en laisseront sur le bord de la route, et pas forcément ceux auxquels on pense…