14 mai 2024
falcoz

De l’égalité formelle à l’égalité réelle

À propos de l’ouvrage L’égalité femmes-hommes au travail. Perspectives pour une égalité réelle, de Christophe Falcoz, éditions EMS-Management et Société, 260 pages, préface de Bernard Michel, ISBN 978-2-376-87088-3

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, avril 2018.

Christophe Falcoz est professeur associé à l’IAE de l’Université Lyon 3 – iaelyon –, directeur du cabinet RCF Management.

C. Falcoz en 5 dates:
  • 1999: doctorat en sciences de gestion traitant des successions des dirigeants dans les grands groupes.
  • 2002: création du cabinet RCF management.
  • 2010: habilitation à diriger des recherches en sciences de gestion sur la «figure du manager».
  • 2011: responsable du master 2 Management des RH & Organisation à l’iaelyon.
  • 2018: parution du septième ouvrage après celui codirigé avec Isabelle Barth sur le management de la diversité (EMS).
Perspective:

Malgré les avancées en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, l’auteur montre que celle-ci rade à s’imposer réellement. Il propose plusieurs pistes depuis celle visant à lutter contre le sexisme ordinaire jusqu’à une refonte en profondeur des systèmes RH.

Interview:

Quel est le bilan des principales pratiques RH censées conduire à l’égalité?

La fonction RH se retrouve depuis une dizaine d’années à mener, souvent seule, un ensemble de politiques d’égalité entre les femmes et les hommes, en réponse à la contrainte légale européenne et nationale, mais aussi à la demande de dirigeants parfois soucieux de redorer leur marque employeur. De nombreuses pratiques ont dû être adaptées. Le recrutement se veut non discriminatoire et le sourcing plus diversifié, tandis que le CV anonyme n’a pas vraiment trouvé sa place, en France tout au moins. Des mesures de rattrapage tentent de réduire l’écart de salaire et l’impact de la maternité. Les réseaux de femmes, le mentoring et les formations au leadership, cherchent à contourner le plafond de verre, au risque de demander aux seules femmes de lever les freins à leur propre carrière.

La fonction RH a aussi pensé de nouvelles pratiques autour de la négociation d’accords, de l’obtention de labels, de mise en place de lignes d’écoute interne ou encore de maîtrise des données sociales sexuées.

Reste que nous sommes aujourd’hui au milieu du gué, que ces mesures montrent leurs limites tant au niveau des écarts de salaire (19 % en France à équivalent temps plein), des parcours professionnels (22 % de femmes parmi les dirigeants salariés), de sur représentation des femmes parmi les temps partiels (80 %), que d’accès à tous les métiers, dont une minorité sont mixtes.

Que reste-t-il à réaliser de votre point de vue pour atteindre une égalité réelle?

Les chantiers sont nombreux et doivent reposer en premier lieu sur le principe d’une mobilisation judicieuse de toutes les parties prenantes internes et externes via une explicitation des enjeux qui font sens pour chacune d’elles. Pour ce faire, l’argument du lien entre performance et féminisation doit s’élargir à la performance globale et durable en cohérence avec les démarches de responsabilité sociétale. Pour atteindre l’égalité réelle, il faudra engager les hommes qui possèdent encore aujourd’hui la plupart des leviers de pouvoir, et en faire des alliés de l’égalité. Les femmes non-cadres devront elles aussi être mieux prises en compte, notamment à travers les enjeux de santé au travail et d’amélioration des conditions de travail. Les démarches de qualité de vie au travail sont d’ailleurs intimement corrélées à celles de l’égalité et permettront d’aborder la transformation des méthodes de management. En effet, l’actualité récente a montré combien le sexisme au travail, la persistance des stéréotypes et le harcèlement, constituent le mal à la racine des inégalités subies par les femmes, qui s’exprime au quotidien au sein des équipes de travail et qui doit être régulé par les managers.

Enfin, si la fonction RH devrait travailler sur toutes ces questions main dans la main avec d’autres fonctions comme le marketing ou le contrôle de gestion sociale, il lui reste de nombreux défis à relever. Les méthodes de classifications des postes contiennent encore trop souvent des préjugés sexistes; les systèmes de gestion de carrière – en favorisant mobilité géographique et disponibilité – sont en défaveur des femmes qui assurent encore une très large part des tâches domestiques; les métiers doivent être mieux analysés et ceux occupés majoritairement par les femmes, revalorisés.

On traite de l’égalité hommes/femmes, mais quand est-il des autres discriminations?

Justement, les politiques égalité auraient grand intérêt à piloter des actions à la croisée du sexe et d’autres critères comme l’âge, le handicap ou l’orientation sexuelle. En effet, la situation de l’emploi des femmes handicapées n’a rien à voir avec celles des hommes handicapés. Les femmes cadres juniors et seniors rencontrent des problématiques très contrastées, notamment en raison de l’explosion du niveau scolaire au sein des jeunes générations. Les études montrent aussi aux USA comme en France que les femmes lesbiennes ne connaissent pas d’écart de salaire par rapport aux femmes hétérosexuelles alors que les hommes gays oui.

Les politiques globales de management de la diversité et d’inclusion doivent donc s’articuler avec celles de l’égalité entre les femmes et les hommes afin que elles et ils puissent mener les carrières de leur choix et aussi libérer tout leur potentiel.