14 mai 2024
Le Management au-delà des mythes

Le Management au-delà des mythes

À propos des ouvrages de (1) Philippe Cabin (coordinateur): Les organisations: état des savoirs, éditions Sciences humaines, 1999. (2) Les Annales de l’École de Paris du management, Volume V, 1999, 460 pages (Adresse: École de Paris du management, 94, bd du Montparnasse, 75014 Paris; Tél.00331-4279-4080: web: www.ecole.org).

Paru dans le cahier CARRIÈRES du journal Le Temps, le 11 févr. 2000, rubrique Le livre de la semaine.

Les mots, nomades, franchissent parfois montagnes ou mers pour revenir transformés dans leur sphère de langage. Il en est ainsi du bucolique «fleureter» qui nous est revenu deux ou trois siècles plus tard britannisé en «flirter». On pourrait citer quelques livres d’exemples de ces mots au pareil destin, flegmatique. Mais il en est d’autres qui partent mais reviennent sans changement notable apparent. Par exemple «management», supposé français d’origine, exporté aux Etats-Unis puis réimporté dans les années soixante. Deux bons ouvrages collectifs portant dessus se détachent de la plupart des publications dans la même catégorie. Le premier regroupe des entretiens parus dans l’hebdomadaire Sciences humaines au cours des années 90. De nombreux théoriciens considérés aujourd’hui comme des classiques des théories de l’organisation peuvent ainsi exposer leurs propositions de façon synthétique. D’autres textes supplémentent ces entretiens. Dans l’un d’entre eux, Jean-Michel Saussois rappelle notamment que le management renvoie à trois capacités: coordonner des activités, faire adhérer des personnes à la mission de l’entreprise et, surtout, contribuer à ce qu’elles coopèrent (tant il est vrai que le thème de la coopération devient de plus en plus prégnant aujourd’hui, la solution de la hiérarchie s’avérant simplette). Saussois nous permet particulièrement d’appréhender l’histoire du management à travers diverses théories, ou plutôt à travers diverses modes puisque dans le fond elles ne reposent pas sur un socle théorique vraiment solide.

Le second ouvrage, cinquième volume des annales de l’Ecole de Paris du management, est égrainé de nombreuses contributions de praticiens des affaires et de théoriciens. La tendance européenne, surtout française, à mettre l’accent sur l’action et le sens que les acteurs leur donnent nous éloignent de la piètre recherche de style américain dominée par l’idiote tendance au «publish or perish», avec son lot de pauvrettes études. Le texte de James March brille d’une lumière particulièrement vive. March y soutient que les théories du management reposent sur quatre mythes: la rationalité, la hiérarchie, l’importance du leader individuel, et l’efficience historique. Il explique la propagation des modes en management à travers ce crible mythique. Qu’importe les signifiants!

On lira ces ouvrages pour échapper aux études stériles qui sont le lot de la recherche soi-disant «scientifique» en management. Et l’on essaiera de porter attention au signifié. Pour le dire avec plus d’emphase encore: tournons le dos aux narcosés du signifiant ou, mieux, luttons contre.