16 mai 2024
Modes of Governance

L’Afrique entre ressources et misère

À propos de l’ouvrage Modes of Governance and Revenue Flows in African Mining, sous la direction de Bonnie Campbell, éditions Palgrave Macmillan, 2013, coll. International Political Economy, 256 pages.

Interview mené avec Barbara Guénette-Beck, paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, novembre 2013.

B. Campbell en 5 dates:

  • 1968: premier voyage en Afrique de l’Ouest.
  • 1974: thèse de doctorat soutenue à Sussex University.
  • 2007:nomination à l’International Studies Group de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies.
  • 2011: reconnaissance par l’UQAM du CIRDIS.
  • 2012: membre de la Société Royale du Canada.

Perspective:

Bonnie Campbell est professeure à la Faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Bonnie Campbell y est directrice du Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société (CIRDIS) et directrice du Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique (GRAMA). Saisie lors de son premier séjour en Afrique de l’Ouest par l’énorme richesse du continent et pourtant la grande misère qui y règne, elle ne cesse d’interroger depuis les dispositifs inspirés par la Banque mondiale, censés être efficaces en matière de développement. Elle travaille avec son équipe à une meilleure compréhension des questions de gouvernance.

Interview:

Vous vous présentez comme économiste hétérodoxe : qu’est-ce à dire ?

La démarche du groupe de recherche que j’anime, s’inspire d’une part des propositions de Susan Strange propres au domaine de l’économie politique internationale (EPI) hétérodoxe – et notamment celle concernant la notion de « pouvoir structurel » qui est au cœur de notre ouvrage de 2012, Pouvoir et régulation dans le secteur minier Leçons à partir de l’expérience canadienne (Laforce, Campbell et Sarrasin, Presses de l’Université du Québec) –, et d’autre part de l’analyse développée par David Szablowski sur la régulation des conflits miniers à travers des processus légaux locaux, nationaux et transnationaux. Cette dernière analyse permet d’ancrer les outils analytiques partant d’une perspective internationale de l’EPI en les actualisant dans une dynamique proprement locale, régionale ou nationale. Dans les deux cas, le rôle, les interactions et les rapports de pouvoir qui s’instituent entre les acteurs concernés sont au centre de l’analyse. L’approche mise en avant nous permet de comprendre les régimes miniers canadiens, québécois, de pays d’Afrique ou d’ailleurs, comme les composantes clés d’une structure de pouvoir plus large qui conditionne notamment les rapports entre les acteurs, influençant ainsi la nature des nouveaux espaces de régulation créés et les résultats qui en découlent.

Que défendez-vous dès votre ouvrage de 2010 ?

Dans Ressources minières en Afrique : Quelle réglementation pour le développement ? (Presses de l’Université du Québec), nous explorons le paradoxe suivant : le continent africain est extrêmement riche en minerais indispensables aux économies occidentales et pourtant, l’industrie minière contribue très peu au développement économique et social de l’Afrique. Nous prenons alors comme cadre de départ les recommandations de la
Revue des industries extractives (Extractive Industries Review) du Groupe de la Banque mondiale, rendues publiques en 2003, et nous explorons dans quelle mesure les recommandations de cette étude, demandée par la Banque mondiale, ont eu des retombées sur les problèmes auxquels font face un certain nombre de pays africains. Les analyses soulignent toute l’importance qu’il y a à examiner de très près l’agenda particulier de développement et le programme de gouvernance qui ont informé les réformes des cadres réglementaires et législatifs introduits dans les pays africains au cours des années 1980 et 1990 sur recommandation des institutions de
Bretton Woods. Le propos de notre ouvrage est de faire ressortir la nécessité de réviser les réglementations minières afin d’assurer qu’elles favorisent la création d’une industrie qui contribue effectivement au développement social et économique et à la protection de l’environnement sur le continent.

Quelle thèse est défendue dans votre tout récent ouvrage ?

Dans Modes of Governance and Revenue Flows in African Mining, avec les apports de collègues qui abordent les expériences du Mali, du Ghana et de la RDC dans le secteur artisanal aussi bien qu’industriel, nous cherchons à illustrer que les approches qui ont dominé par le passé concernant la manière de saisir, de mesurer et de tracer les flux qui résultent des activités minières, laissent beaucoup à désirer si l’on se place du point de vue du développement économique et social des pays concernés. Elles reflètent surtout les perspectives « investment-led » qui ont présidé aux réformes des cadres règlementaires introduites dans le secteur. Il en ressort que ces approches s’avèrent assez limitées pour permettre de saisir ce qui est effectivement produit et retenu par le pays hôte.

Ce constat explique par exemple qu’un des chapitres qui porte sur le Ghana examine des procédures alternatives permettant de tracer les flux miniers et de mesurer les impacts des industries extractives tels que l’utilisation de la notion de « net retained earnings ». Cette contribution analyse aussi d’autres méthodologies telles que des approches et matrices simplifiées pour calculer les montants nets effectivement retenus par le pays. Il est suggéré que de telles approches pourraient améliorer la capacité des communautés concernées de superviser effectivement l’utilisation des revenus qui résultent de l’extraction des ressources grâce à des mécanismes qui favoriseraient plus de transparence et d’imputabilité dans les procédures et procédures de distribution.