14 mai 2024
L'entreprise dans la société

La responsabilité sociale de l’entreprise

À propos de l’ouvrage L’entreprise dans la société : Une question politique, de Michel Capron et Françoise Quairel-Lanoizelée, éditions La découverte, coll. Grands∙Repères, 2015, 270 pages.

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, avril 2015.

Michel Capron en 5 dates:

  • 1943: naissance.
  • 1968: diplôme d’études supérieures de sciences économiques.
  • 1973: expert auprès des comités d’entreprise.
  • 1989-1990: doctorat en sciences de gestion ; maître de conférences à l’Université Paris 8 – Saint-Denis.
  • 1998 : professeur des universités.

F. Quairel-Lanoizelée en 5 dates:

1944: naissance.

1975: doctorat en sciences de gestion.

1987: maître de Conférences à l’Université Paris-Dauphine.

2004: publication de « Mythes et réalités de l’entreprise responsable » (La Découverte).

2005: membre du groupe AFNOR ISO pour l’élaboration de la Norme ISO26000 (2010).

Perspective:

Michel Capron est professeur à l’Université Paris-Est. Françoise Quairel-Lanoizelée, maître de conférences et chercheure
associée DRM, Université Paris 9-Dauphine.

Les auteur∙e∙s défendaient dans un ouvrage précédent paru il y a dix ans que la « responsabilité sociale » de l’entreprise restait à construire. Manifestement, depuis le début du siècle le thème a évolué et s’est considérablement enrichi. Le mouvement de la « RSE » s’est développé jusqu’à remettre en cause les approches traditionnelles de la firme. Dans leur récent ouvrage, Capron et Lanoizelée analysent les rapports entre la société et l’entreprise dans le contexte actuel de mutations profondes des cadres de vie et d’évolution des systèmes économiques. Leur réflexion débouche sur des interrogations sur le sens, la nature, le rôle et le pouvoir de l’entreprise dans la société d’aujourd’hui.

Interview:

Que défendiez-vous dans votre ouvrage « Mythes et réalités de l’entreprise responsable » ?

Le concept de Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) a émergé en Europe, dans le courant des années 1990, comme traduction de la « Corporate Social Responsibility » (CSR) nord-américaine, mais avec une acception différente, en rapport avec les objectifs du développement durable. L’émergence de la RSE est liée au retrait de l’État-providence et la montée du néo-libéralisme d’une part, aux prédations de l’environnement humain et naturel générées par l’activité des grandes entreprises mondialisées d’autre part. Les discours sur la RSE se sont développés dans un grand flou sémantique. En 2004, notre premier ouvrage s’est attaché à éclaircir cette notion et ses multiples interprétations, à montrer les différences entre la vision nord-américaine de la CSR, essentiellement tournée vers la philanthropie, et la vision européenne qui hybride le concept de développement durable et la responsabilité de l’entreprise. L’ouvrage analyse les stratégies et les dispositifs que les entreprises mettent en œuvre, sur une base volontaire (au-delà de la loi). La grande diversité de situations entre mesures substantielles et mesures cosmétiques nous conduisait dès cette période à nous interroger sur les limites de l’autorégulation managériale.

Qu’apporte à la question de la responsabilité sociale votre récent ouvrage ?

Dans ce nouvel ouvrage, nous reconsidérons totalement la notion de RSE, en analysant les relations entreprise-société non plus dans une approche centrée sur l’entreprise, mais dans une approche centrée sur la société. La notion de RSE apparaît comme une réponse managériale au « désencastrement » des entreprises par rapport à la société. Ce « désencastrement » se traduit par une logique économique et financière qui impose ses propres règles et ses propres objectifs et la capture managériale de la RSE n’en permet qu’un réencastrement très partiel

Nous analysons la place et le rôle de l’entreprise du point de vue de son utilité sociale et de sa contribution à l’intérêt général. Nous mettons en lumière sa « redevabilité » (accountability) envers la société, résultant de ses impacts sur l’environnement naturel et humain , de sa dépendance à l’égard des ressources qu’elle y prélève et aussi sa responsabilité fiscale. Cette analyse soulève la question : quelle entité désigne le terme « entreprise » ? La confusion des représentations mentales entre « entreprise » et « société de capitaux », la diversité des formes, de la PME à la mégafirme, la désignation sous le même terme « entreprise », d’une holding contrôlée par des investisseurs financiers ou du projet innovateur d’un entrepreneur, brouille complètement la vision et le discours sur « l’entreprise ». Cela nous a conduits à revisiter cette appellation et proposer des pistes pour sa clarification.

En quoi la question est-elle politique ?

D’abord la question est politique, au sens noble du terme, c’est-à-dire des choix de société qui appartiennent aux citoyens. Aujourd’hui, les grandes entreprises pèsent très lourd dans la vie politique nationale et internationale et certaines n’hésitent pas à affirmer que l’avenir du monde dépend d’elles, que ce soit en matière de changement climatique, de protection de la biodiversité, de cohésion sociale… Comment penser le partage entre la responsabilité des mégafirmes et celles des États nationaux dans le contexte d’une économie mondialisée ? Pour répondre à cette question, l’ouvrage analyse les enjeux politiques autour des tensions, des interactions entre trois types d’acteurs : les sociétés civiles organisées, les puissances publiques nationales ou internationales et les entreprises ; il montre comment de nouveaux modes de régulation des activités économiques émergent et dans quelle mesure ils permettent aux sociétés civiles d’exercer un contrôle sur les impacts de l’activité des entreprises.