14 mai 2024
Le capitalisme paradoxant

Paradoxes

À propos de l’ouvrage Le capitalisme paradoxant : un Système qui rend fou, de Vincent de Gaulejac, Fabienne Hanique, éditions du Seuil, 2015, 260 pages.

Compte-rendu paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, mars 2015.

Il fut un temps où les changements organisationnels pouvaient être compris dans un mouvement de balancier entre centralisation et décentralisation. Dans les années nonante, on remarquait que cette oscillation se grippait et les organisations, crispées, devenaient prises en tenaille par un double mouvement de centralisation, au sommet, et de décentralisation, aux périphéries. Le mouvement de balancier ne fonctionnait plus et la contradiction devenait la marque des organisations modernes. Tel paraît être la toile de fond de cet ouvrage de Gaulejac et Hanique, deux auteures critiques dans la veine dénonciatrice pour le premier, analytique pour la seconde qui a donné dans son ouvrage « Le sens du travail : chronique de la modernisation au guichet », une des plus fines descriptions sur les changements affectant le travail même des procès du management et de l’organisation du travail.

Dans leur ouvrage disponible au tout début du mois prochain, les auteures cherchent à rendre compte de l’évolution depuis plusieurs décennies des effets du contrat social global que d’aucuns ont nommé « l’esprit de Philadelphie », avec la notion de croissance comme finalité plutôt que comme moyen d’assurer le progrès social. Reprenant leurs critiques antérieures, Gaulejac et Hanique mettent en évidence comment ces vues ont marquées l’imaginaire social et créé un monde qualifié d’« hypermoderne » dans lequel l’individu est « débordé de sollicitations, sommé d’être toujours plus performant, talonné par l’urgence, développant des comportements compulsifs visant à gorger chaque instant d’un maximum d’intensité, il peut aussi tomber dans un excès d’inexistence, lorsque la société lui retire les supports indispensables pour être un individu à part entière. » Un monde paradoxant en somme, schizophrène à la limite – le paradoxe fonctionnant comme une « double contrainte » qui rend l’action difficile sinon impossible.

L’ouvrage explore ainsi la mise en œuvre de l’ordre paradoxal qui marque l’organisation sociale. Dans une première partie, les auteures explorent les différents processus qui y ont conduit, savoir les révolutions numérique, financière et managériale. Puis dans une seconde partie, ils pointent les effets et les conséquences sociales et individuelles du phénomène. Enfin, la conclusion interroge celui-ci : est-ce une simple transition dans une société en crise ou un nouveau modèle de société ?