15 mai 2024

La qualité, enjeu de société

À propos de l’ouvrage Au-delà de la qualité: démarches qualité, conditions de travail et politiques du bonheur, de Frederik Mispelblom Beyer, éditions Syros, 1999, 306 pages.

Compte-rendu paru dans les pages Carrière du journal Le Temps, rubrique Le livre de la semaine, le 30 avril 1999.

Les entreprises modernes tentent d’installer depuis une bonne quinzaine d’années un mécanisme de coordination qui opère à un niveau que l’on peut dire idéologique ou culturel, dans la mesure où il tente d’homogénéiser les représentations et les valeurs des membres de l’organisation. Autrement dit, elles recourent bien souvent à la «standardisation par les normes» pour remplacer – ou, plus modestement, pallier – la «standardisation par les procédures» qui est le mécanisme de base d’une organisation de type bureaucratique. Ainsi, culture et programme de qualité vont de pair pour favoriser l’adhésion des personnes aux buts affichés de l’organisation. Néanmoins, cette tentative d’homogénéisation ne manque pas de se heurter dans la pratique à l’existence de divers types de représentations et de valeurs, telles que la culture des communautés professionnelles ou la culture des différents groupes d’acteurs au sein de l’organisation qui sont autant de forces centrifuges dans la vie de l’organisation. C’est pourtant cet aspect nécessairement conflictuel que les processus d’adhésion voudraient voir disparaître ou, de façon plus réaliste, atténuer. Le thème du livre de Frederik Mispelblom Beyer porte sur la qualité totale. La thèse de l’auteur revient à soutenir que les démarches qualité participent, avec d’autres dispositifs de gouvernement des entreprises, à une politisation croissante du travail et de la consommation. La question cruciale, comme un enjeu, consiste à montrer en quoi une action qualité peut constituer une forme de néo-taylorisme ou au contraire une tentative de rupture avec le taylorisme. Pour finir, cet ouvrage montre que les démarches qualité ressortissent d’une construction sociale et politique. L’auteur y montre en effet que dès les innovations apportées au début du siècle par F. Taylor, la question de la qualité s’est posée, mais qu’elle a pris une importance cruciale dès les années de l’après-guerre. La qualité a alors d’abord été l’œuvre des ingénieurs statisticiens, avant de devenir une valeur en soi. Sur cette vague porteuse, les consultants ont pu offrir moult méthodes renvoyant à la production ou aux aspects commercial ou économique. Ce n’est toutefois que depuis les années 70 que l’on parle tout simplement de «qualité totale». Pour Frederik Mispelblom Beyer, la qualité devient alors un enjeu de société: «Les démarches de qualité jouent sur des systèmes de normes, de styles et d’idéaux, et comportent des soubassements institutionnels qui transgressent les frontières artificiellement établies entre un extérieur (la société) et un intérieur (l’entreprise).»