14 mai 2024

La psychologie du travail en débat

À propos de l’ouvrage (Re)découvrir la psychologie du travail au Brésil, coordonné par Marianne Lacomblez, éditions Octarès, coll. Travail et Activité humaine, 194 pages, ISBN 978-2-366-30103-8

Interview, octobre 2020. Inédit.

Marianne Lacomblez, professeure émérite des universités de l’État portugais.

Perspective:

L’histoire de la psychologie du travail est plurielle. Les appréhensions du travail en matière de psychologie sont largement euro-centrées, aussi est-il intéressant de se rendre compte comment des perspectives nouvelles se développent ailleurs dans le monde.

Interview:

En quoi la psychologie du travail au Brésil est-elle différente de celle théorisée et pratiquée dans les pays européens?

La psychologie du travail telle que théorisée et pratiquée dans les pays européens est plurielle, fruit d’héritages divers, dont plusieurs ont été l’objet de vives controverses. Mais la dynamique de ces différends semble avoir donné un autre souffle aux approches davantage attentives à l’expérience humaine inscrite dans l’activité de travail.

Ces approches ont joui d’un accueil privilégié parmi les psychologues du travail brésiliens – quoiqu’aucun de ces apports ne soit sorti indemne de ces rencontres, donnant finalement le jour à une tradition scientifique très ‘métissée’, résultante d’une mise à l’épreuve de cadres conceptuels face à une réalité qui ne les avait pas nourris.

Quels sont les axes principaux développés au Brésil dont fait état votre ouvrage?

L’histoire coloniale de l’esclavage au Brésil a laissé ses marques, notamment dans la connotation dépréciative de tout travail soumis, y compris celui propre à la relation salariale. C’est là un élément essentiel pour comprendre ce que relatent les auteurs de cet ouvrage. Le travail informel, la recherche d’alternatives dans la mise en place d’activités qui permettront de subvenir aux besoins, le plaisir évident de la créativité dans la débrouillardise: il y a toujours, en toile de fond de ce que révèlent ces analyses, une critique des évolutions du monde du travail «formel», mais également une bonne jubilation de parvenir à vivre sans ce que celui-ci impose.

Il est vrai aussi que les exemples d’employeurs ayant estimé avoir les mains fort libres dans la gestion du travail humain n’ont pas manqué au Brésil.

Des débats de valeurs sont ainsi convoqués, associés à l’affirmation de conceptions d’un développement sociétal qui cherchent à donner plus de place à la volonté de penser le futur de tout citoyen, non plus exclusivement dans le cadre d’une dynamique de croissance économique, mais en réunissant les conditions qui permettent de concevoir l’émancipation autrement, sans négliger ce que donne à voir la richesse de l’expérience acquise dans l’exercice de l’activité de travail.

La posture exige toutefois l’attention que ces chercheurs attribuent à la méthode, en tablant par exemple sur la puissance heuristique de l’entretien, conçu sur la longue durée et tel qu’il soit un lieu pour l’explicitation et la mise en débat de ce que l’analyse de l’activité de travail permet de comprendre.

En quoi consiste votre singularité en matière d’analyse du travail?

La psychologie du travail, telle que je l’entends, s’est construite dans une proximité avec l’ergonomie de l’activité – une alliance qui est l’expression concrète de la critique théorique plus générale de toute étude qui verrait dans la relation avec le travail l’expression de lois comportementales d’une soi-disant nature humaine.

Les rencontres avec les protagonistes engagés dans l’activité de travail deviennent ainsi un impératif, éthique et méthodologique, puisque la pertinence des savoirs non académiques relève dès lors de l’évidence. La procédure de validation du parcours et des résultats de la recherche est de ce fait étroitement associée aux moments d’échange avec les acteurs concernés.

Se situer au-delà des murs de l’entreprise est un corolaire de cette approche de l’activité de travail: que ce soit en termes d’effets du travail sur la santé, en termes de santé publique, et même, dans le cas de certaines activités, en termes de relation durable avec la nature; ou encore en termes de reconnaissance sociale de l’expérience professionnelle acquise, en tant qu’élément structurel de l’identité.