14 mai 2024
2050

La prospective comme roman

À propos de l’ouvrage 2025: L’apocalypse helvétique, d’Eric Lehmann, éditions Slatkine, 172 pages, préface de Bertrand Piccard, postface de Philippe Roch, ISBN 979-2-832-10988-5

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, juin 2020.

E. Lehmann en 5 dates:
  • 1947: naissance à Genève.
  • 1985: rédaction en Chef du Journal La Suisse.
  • 1990: présidence de la Radio-Télévision Suisse.
  • 1999: création et direction de la Radio et Télévision du Kosovo.
  • 2020: écriture de «2050. L’Apocalypse helvétique».
Perspective:

Après une carrière passée dans les médias, la sécurité et la gestion d’entreprise, Éric Lehmann, juriste, a tenté de comprendre les mécanismes poussant les sociétés modernes au déni collectif d’un avenir sombre et mortel. Dans ce roman documenté, résolument catastrophiste, il nous décrit la fin d’un monde et la renaissance de l’humanité. L’action commence en 2020 et se termine en 2050, au moment où le monde et la Suisse retrouvent le goût de l’espérance. Il dénonce en particulier la croissance, restée durant de sombres décades, malgré les alertes, le maître-mot universel qui n’accepte que l’ombre du danger climatique et non sa réalité.

Interview:

Quelle a été la motivation qui a présidé à l’écriture de ce roman catastrophiste?

L’âge sans doute, et avec lui la somme des expériences et des constats d’un délitement progressivement exponentiel de l’humanité. Pour moi qui connus le téléphone à cadran, les postes à galène, l’encrier sur les pupitres, les premiers avions à réaction, le Vélosolex et la paix revenue après 45, je m’inquiète pour les générations futures pour lesquelles j’entrevois une série invraisemblable de catastrophes avant une rémission égale à celle que connurent les premiers hommes à la sortie de leurs cavernes après les grandes glaciations dues aux chutes de météorites géantes.

Entendre, par exemple, les dirigeants de la planète prôner une écologie du tout électrique alors que nous sommes sous la menace d’un blackout général par une simple éruption solaire plus grande que les autres et décrite minutieusement par les chercheurs américains du LASP (laboratoire pour l’atmosphère et la physique de l’espace), me donne à penser que le formidable avertissement donné cette année par la pandémie mondiale n’aura servi à rien: car il n’est pas question ici de masques ou de distanciation physique mais bien de survie de l’humanité. De quelles solutions de rechange ou de survie disposerons-nous? À vrai dire, aucune, sauf que d’imaginer, tels les survivalistes, que demain est aujourd’hui!

Êtes-vous un collapsologue?

Si le mot collapsologie se définit comme la destruction totale de notre monde, alors ne suis-je pas un collapsologue. Je me définirais plutôt comme un scénariste du probable; la probabilité de la fin d’un monde mort de ses excès en matière de démographie galopante, de conflits et de non-respect de l’environnement ou, plus précisément d’une forme de déni du réchauffement climatique.

Relisez l’Énéide! On y décrit le transfert de nos âmes défuntes dans les Enfers pour y subir les supplices de l’eau, de la terre et du feu avant que d’entrevoir le jardin des délices. Jamais la métaphore ne m’est apparue si pertinente qu’en cette période troublée, même si j’ignore de quoi les délices seront faits.

Savoir que nous pourrions être plus de quatorze milliards d’individus sur la terre en 2050 représente une telle menace pour la survie de l’humanité qu’elle en devient une statistique absurde.

Imaginer que la terre pourrait nourrir cette population relève de la fantaisie criminelle.

Supposer que dans trente ans nous aurons résolu les problèmes climatiques que les gouvernants n’ont jamais voulu prendre au sérieux depuis l’avènement de l’ère industrielle n’est que douce litote.

Souvenons-nous d’un seul détail: Nous ne disposons que de 1% de potabilité de l’eau couvrant notre si jolie petite planète bleue.

La période qui s’ouvre devant nous est-elle cruciale?

Elle l’est bien sûr, même si je crains que le reconnaître ne servira plus à grand-chose. La litanie des catastrophes à venir, qu’elles soient climatique, guerrière, économique, financière ou sociale a été dressée depuis des lustres par d’autres plus savants ou prophétiques que moi. Or, qu’a-t-on entendu durant la pandémie qui n’est, à mes yeux que calembredaine à l’aune des années à venir? Toujours le même message: relancer la croissance, travailler davantage pour remettre la machine en marche, endetter abyssalement les États et les générations futures. Rien sur la question essentielle: que faire si l’effondrement survenait? Comment permettre à l’humanité de s’inventer un nouvel avenir? Dans mon ouvrage, je tente, modestement, de tracer quelques pistes comme le font en préface et en postface Bertrand Piccard et Philippe Roch, beaucoup plus optimistes que moi mais qui me rejoignent sur l’idée de se préparer à la maîtrise de l’inévitable changement.

Et après l’effondrement?

Je n’en sais fichtre rien! Et c’est sans doute mieux comme ça. Cela me permettra le reste de mon âge, le plus longtemps possible, de préférer la culture à la croissance débridée et le plus souvent inutile.