14 mai 2024
Crise financière

Force des lobbies financiers et impotence des politiques

À propos de l’ouvrage Crise financière : Pourquoi les gouvernements ne font rien, de Jean-Michel Naulot, éditions du Seuil, 2013, 280 pages.

Compte-rendu paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, décembre 2013.

Un banquier membre depuis dix ans d’une institution de régulation tire la sonnette d’alarme devant l’inaction des dirigeants politiques alors que les solutions pour éviter une crise systémique sont connues et praticables.

Banquier de profession, l’auteur a appartenu une dizaine d’années durant au monde de la régulation bancaire en France. Il a démissionné récemment de la mission qui lui a été confiée comme membre du collège de l’Autorité des marchés financiers, de façon à pouvoir s’exprimer en toute liberté, en l’occurrence à travers l’écriture. Deux raisons semblent avoir motivé son désir d’expression : d’abord, sa prétention à expliquer avec des mots simples les questions relatives au monde de l’économie et de la finance ; et puis l’urgence de la situation puisque, selon lui, les dirigeants s’éloignent des bonnes résolutions décidées lors de la réunion du G-20 en avril 2009 à Londres.

Cette réunion post-crash fut « un vrai rayon de soleil (…) », écrit l’auteur qui poursuit : « Les dirigeants avaient peur et ils se sont rassemblés. Ils exprimèrent un vrai désir de changement, la volonté d’établir une gouvernance mondiale. Tout semblait d’un coup très simple. Il suffisait de s’entendre et de décider. Une feuille de route a été rédigée, une dizaine de chantiers bien identifiés et, pour chacun de ces chantiers, des résolutions étaient esquissées. Instituions, produits dérivés, fonds propres des banques, hedge funds, paradis fiscaux, rémunérations, agences de notation, règles comptables, matières premières, rien n’a été oublié (…) » Malheureusement, déplore J.-M. Naulot dans son texte d’information et de pédagogie écrit à l’endroit des citoyens considérés comme le dernier rempart face à l’inaction de dirigeants, puisque, malheureusement, la feuille de route n’a pas été respectée.

L’ouvrage est composé de quatre chapitres denses fourmillant d’informations détaillées. Dans le premier, intitulé « un constat accablant »,
J.-M. Naulot défend l’idée que le rapport de la finance à l’économie réelle est encore plus préoccupant de nos jours qu’au cours des années vingt du siècle dernier. Il présente les outils devenus classiques de la finance, notamment les hedge funds, pour remarquer le caractère innovant de ces produits détournés cependant de leur but initial. Outre une innovation financière déraisonnable, l’auteur pointe deux autres caractéristiques principales du malaise contemporain : des marchés qui ne remplissent plus leur rôle et un fonctionnement peu satisfaisant de la distribution du crédit – il discute sur ce point des tenants et aboutissants des accords de Bâle. L’urgence, assène-t-il finalement, revient aujourd’hui à réduire la bulle de spéculation permise par une abondance insensée de liquidités. Loin de ce font les dirigeants de son point de vue : « À force de déréglementation, de création de liquidités par les banques centrales, d’innovation financière, de spéculation, les marchés ont pris une place inoccupée par le pouvoir politique ».

Dans le deuxième chapitre intitulé « vertige des déficits occidentaux », Naulot constate l’impressionnante croissance de la « base monétaire » globale qui est passée de 1995 à 2013 de 7% du PIB mondial à 26%. « Les liquidités crées par les banques centrales depuis vingt-cinq ans, nous font entrer dans un univers inconnu caractérisé par la hausse de la valeur des actifs, la détérioration des bilans des banques centrales et la guerre monétaire », écrit-il. Nous vivrions dans un monde intellectuellement simple où des disciples zélés de Milton Friedman, sans discontinuité de Greenspan à Bernanke, font marcher de façon automatique, frénétique même, la planche à billets depuis quelque vingt-cinq années. Dans les pas d’un Stiglitz,
Naulot remet en cause, en passant, la sacro-sainte indépendance des banques centrales. Un monde où un certain « état d’esprit » permet force confusion entre le monde de la banque et celui de la régulation. Dans ce chapitre où est passée au peigne fin la question des déficits, l’auteur exhibe la diversité des situations, selon que l’endettement est public ou privé (dettes des ménages) et selon que la dette est détenue nationalement (cas du Japon) ou pas. Un monde en tous les cas où les salariés ne profitent plus de l’amélioration de la productivité.

Outre les déficits abyssaux étatsunisiens et leur économie monétaire sujette à caution, un autre foyer de catastrophe à venir est la zone euro, défend l’auteur, où les gouvernements n’ont même pas commencé à mettre leurs économies à l’abri des dysfonctionnements de la finance. Naulot montre dans la troisième partie de son opus intitulée « la crise de l’euro », qu’il y aurait intérêt à sortir de l’idéologie néolibérale et monétariste. Dans ce chapitre, défendant l’idée que le pilotage d’une monnaie, c’est aussi une convergence économique, sociale et fiscale, il esquisse des voies de sortie organisée pour se détacher de l’aberration d’une monnaie sans État. En attendant, il invite à une action plus sérieuse contre le risque systémique. Finalement, la quatrième partie reprend en partie les axes dessinés lors de la réunion du G-20 de 2009, précisés.

Cet ouvrage certainement porté par une certaine colère est salutaire. Il fournit une photo relativement nette de ce qui se passe au niveau des négociations à l’international. Et il met au jour les guerres d’influences et les logiques d’intérêts à plusieurs niveaux. Il montre l’inanité des théories monétaires et surtout la puissance des lobbies financiers face à des dirigeants politiques faibles et interdits. Sans tomber dans le populisme, l’auteur affronte les questions techniques de façon compréhensible autant que cela se peut tant le monde économique et financier semble nous échapper. Pour le décrire, nous revient l’image du funambule du philosophe de la volonté vers la puissance (Nietzsche) suspendu dans le vide.