14 mai 2024
point de vue

Face à l’épidémie des risques psychosociaux

Article rédigé et signé avec Nataša Vukašinović et paru dans le supplément mensuel du journal L’Agefi, en mars 2016.

 

Retour sur le colloque-formation organisé à Genève le jeudi 3 mars par l’OCIRT et la HE-Arc

 

On constate depuis plusieurs années, en Suisse comme en Europe, une augmentation sensible de travailleurs atteints dans leur santé en raison de contraintes psychosociales sur le lieu de travail. Ces contraintes peuvent induire des situations de stress, des cas de burnout ou encore de graves conflits de travail. Des situations de harcèlement moral ou sexuel peuvent également survenir quel que soit le contexte de travail.

Les risques psychosociaux (ci-après: RPS) représentent en Suisse une véritable épidémie. Alors que les accidents du travail sont en net recul, les RPS ne cessent, eux, d’augmenter, entraînant des conséquences néfastes: problèmes cardio-vasculaires et troubles musculo-squelettiques (TMS) notamment. Entraînant aussi de souffrance humaine, accidents, absences au travail, bref: des impacts négatifs sur le fonctionnement des entreprises et des organisations (absence, turnover, etc.) et finalement des coûts importants pour la collectivité toute entière.

Autant de raisons pour l’OCIRT, en partenariat avec la HE-Arc reconnue pour engagement dans la santé au travail, d’apporter sa contribution en proposant une journée de réflexion sur cette thématique.

Les employeurs doivent au terme de la loi protéger les employés en matière de santé, en l’occurrence de santé psychique. Une grande majorité d’entre eux s’efforcent de bien faire et sont en conformité avec la loi. Or, cela ne suffit pas à enrayer cette épidémie. Une grande majorité d’entre les employeurs aimeraient plus efficaces mais se trouvent souvent démunis.

Depuis l’émergence de ces risques, de nombreuses offres de prévention ont été développées et proposées aux entreprises. Bien souvent, il s’agit de réponses ponctuelles (médiation, coaching, formation, …) s’adressant aux victimes et, ou aux responsables présumés de situations de travail dégradées. Or, ces situations s’inscrivent dans un contexte de travail, terreau qui apparaît comme rarement interrogé. L’activité, la manière dont le travail est exécuté, les ressources à disposition, les formes de régulation des travailleurs, les modes d’organisation du travail, la cohérence entre l’organisation et les buts poursuivis par l’entreprise sont autant d’éléments qui peuvent être sources de contraintes mais qui peuvent aussi favoriser la santé et le bien-être au travail.

Le colloque qui s’est tenu le 3 mars dernier à Genève, a ainsi abordé la question des facteurs de risques psychosociaux et des moyens de prévention en plaçant l’organisation du travail au centre des questionnements et des débats.

L’événement organisé par l’OCIRT et la HE-Arc a réuni deux personnes du monde de l’économie et de la santé. Quatre conférences plénières ont planté le décor.

Dominique Lhuilier, professeure au Conservatoire des Arts et Métiers (CNAM) de Paris ouvrait la journée en traitant du thème des vulnérabilités au travail et de leur reconnaissance. Sandrine Caroly, professeur d’ergonomie à l’Université de Grenoble, abordait ensuite la question de la santé sous l’angle collectif. Elle montrait que l’activité collective, fondée sur l’articulation entre le travail collectif et le collectif de travail, est une ressource psychosociale pour construire la santé. En effet, le travail collectif a pour fonction d’une part de réguler les contraintes dans l’action et de participer d’autre part à favoriser la transmission de l’expérience. Quant à lui, le collectif de travail ne se décrète pas, mais se construit dans et par le travail collectif et a pour fonction de donner du pouvoir d’agir à chacun. Ainsi, par des processus de réélaboration des règles, de développement des compétences et d’enrichissement de la vitalité du collectif de travail, l’activité collective, quand elle est rendue possible par les marges de manœuvre organisationnelles, favorise la préservation et la construction de la santé des travailleurs(es) ainsi que l’efficacité du travail.

François Pichault, professeur à l’école des HEC de l’Université de Liège, spécialiste reconnu en gestion des ressources humaines (GRH), défendait finalement l’idée que les responsables RH avaient intérêt à adopter une posture contextuelle, loin d’une large part du management moderne qui repose sur un appel incantatoire à faire face à l’incertitude, aux tensions, aux paradoxes. La gestion de ces situations contradictoires, défendait-il de manière convaincante, est le plus souvent renvoyée aux individus eux-mêmes et est à l’origine de nombreux problèmes de santé au travail: stress, burnout, conflits interpersonnels, etc. Dans son souci de cohérence GRH/organisation dans l’analyse des problèmes de santé au travail, il nous semble nécessaire de réinvestir dans l’articulation des politiques RH au travail «réel» pour tenter de réduire ces difficultés. L’exposé du professeur belge esquissait des propositions dans ce sens: expliciter la vision RH en la co-construisant, rechercher la cohérence interne des pratiques RH et veiller à leur articulation aux fonctionnements organisationnels concerts – cohérence externe.