14 mai 2024
pédophilie pédocratie

Économie de la prédation

À propos de l’ouvrage La Pédocratie à la française: La chute des intouchables de Jacques Thomet, éditions Fabert, 164 pages, 29 francs, (préface de Joseph Ancel; postface de Gérard Lopez) ISBN 978-2-849-22627-8

Publié dans le supplément INDICES de L’Agefi, juin 2021.

INTRODUCTION:

Les livres de Vanessa Springora, «Le consentement» (2020), et de Camille Kouchner, «La familia grande» (2021), ont révélé l’existence du poison pédocriminel jusque dans l’élite française. Au terme de dix années d’enquête, Jacques Thomet, ancien rédacteur-en-chef à l’AFP, dissèque l’étendue de ce fléau, dénonce le pourquoi et le comment de son maintien, mais garde un optimisme prudent sur le succès de la lutte contre ce «pédocide».

INTERVIEW:

Des ouvrages récents ont mis au jour la question de la prédation sexuelle: comme des arbres cachant la forêt?

La pédophilie, ou mieux dit la pédocriminalité, ressemble plutôt à un immense champ d’orties que la société laisse proliférer, par indifférence, peur ou complicité. Les scandales Springora et Kouchner en ont brûlé quelques arpents, mais la nature reprend vite ses droits. Les chiffres parlent: un adulte sur dix en France a reconnu avoir été victime de viol ou d’inceste durant son enfance, selon un sondage Ipsos de novembre 2020! C’est-à-dire plus de six millions de Français. Le gouvernement a fait un pas en avant contre ce véritable pédocide avec la récente loi sur l’absence de consentement chez les mineurs de 15 ans victimes de viol. Jusque-là, les prédateurs invoquaient souvent «l’accord» de leurs victimes pour échapper aux poursuites, et y réussissaient dans certains cas. Mais les institutions ont fait deux pas en arrière au même moment. Un directeur d’école dans les Alpes a bénéficié d’un non-lieu en mai dernier malgré les plaintes d’une vingtaine de parents contre les violences sexuelles présumées commises par lui sur leurs enfants, âgés de moins de cinq ans. À Toulouse, une pédopsychiatre, Eugénie Izard, a été interdite d’exercer pendant trois mois par le conseil local de l’Ordre des médecins en mars dernier. Son crime? Avoir fait un signalement en 2015 sur les violences subies par l’un de ses patients, un enfant, de la part de son père. Mais elle vient d’obtenir gain de cause auprès du conseil d’État.

Mes dix années d’enquête sur la pédocriminalité m’autorisent à conclure à une résistance a minima de tous les secteurs sociétaux à extirper ce mal endémique, quand il n’y a pas complicité, passive ou même active.

Précisément, vous avez traité d’une affaire qui a fait grand bruit en France, celle dite d’Outreau… En quoi est-elle emblématique d’un déni?

L’affaire d’Outreau constitue un scandale judiciaire, que j’ai qualifié dans mon livre d’«Hiroshima de l’enfance». Malgré les aveux de prévenus et les accusations contre eux de leurs dix-huit petites victimes, treize adultes de cette banlieue de Boulogne-sur-Mer ont été acquittés en 2005 après un simulacre d’Assises. Les enfants, poussés dans le box des accusés à la place des prédateurs laissés dans la salle aux côtés des journalistes, ont subi pendant des heures les cris, insultes, agressions verbales des 19 avocats de la défense. L’une des fillettes avait fait pipi sur elle face aux accusations de mythomanie proférées par l’avocat Éric Dupond-Moretti (devenu ministre de la Justice), imité par ses confrères, sans réaction aucune du président des Assises. Mais le sommet de ce déni de justice à Outreau fut atteint à la fin du procès. Avant que les jurés ne délibèrent, le procureur général de Paris, Yves Bot, tint une conférence de presse à la barre des témoins avec l’avocat général Yves Jannier, le même qui avait moqué un enfant en lui demandant «s’il n’avait pas été violé par un martien». Au mépris de la loi, Yves Bot présenta ses excuses aux accusés et les qualifia d’innocents. Le lendemain, les jurés, ainsi influencés, prononçaient les treize acquittements. Au lieu d’être radié, ce magistrat fut promu avocat général à la Cour européenne de justice de Luxembourg.

Arriverons-nous à venir à bout de ces crimes contre l’humain?

Seule une action collective concertée peut contribuer, sinon à éradiquer, au moins à réduire l’étendue de ce fléau. Nombre associations pour la défense des enfants se battent, mais en ordre dispersé. L’une des plus actives a été et reste le CIDE (Comité international pour la dignité de l’enfant) à Lausanne, dirigé par Georges Glatz. Dans les années 2000, il a reçu des dizaines de Françaises venues lui demander de l’aide après avoir fui une justice favorable aux violeurs de leurs enfants. Les réseaux sociaux jouent également un rôle grandissant pour dénoncer les cas de laxisme judiciaire.

L’AUTEUR EN 5 DATES:

  • 1946: naissance à Vesoul (Franche-Comté).
  • 1972: diplôme Centre de formation des journalistes.
  • 1974-2006: Agence France-Presse (AFP).
  • 2013: parution de «Retour à Outreau».
  • 2021: parution de «La Pédocratie à la Française».