14 mai 2024
ngouo

Dire n’est pas faire

À propos de l’ouvrage La fonction de suivi dans les organisations publiques. Pour une performance accrue grâce à la prise en compte des caractéristiques du flux de travail réel, de Léon Bertrand Ngouo, éditions L’Harmattan, 464 pages, ISBN 978-2-343-13736-0

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, mai 2018.

Léon Bertrand Ngouo est professeur et consultant en Management Public, basé à Yaoundé, Cameroun.

L. B. Ngouo en 5 dates:

1972: mariage avec Marguerite à l’Eglise sainte Anne de Mbouda, le 05 août.

1972: entrée en Service dans l’administration publique camerounaise, le 30 septembre.

1975, 1979, 1980: Arlette, Christelle, Brice.

2004: prix d’Excellence des Nations Unies attribué au Cameroun,  pour le système informatique de gestion intégrée des personnels de l’Etat et la solde (SIGIPES) et son application. «AQUARIUM».

2009: admission à la retraite de l’administration, le 31 décembre.

Perspective:

Voici l’ouvrage d’un auteur qui a su lier théorie et pratique, allant au plus près du travail réel en matière de nouveau management public.

Interview:

Vous semblez renouveler la critique faite au management pour qui souvent «Dire c’est faire», est-ce bien ça?

En effet l’ouvrage traite du «suivi» dans les organisations publiques focalisé sur la mise en œuvre des politiques publiques. Nous l’analysons comme une sous fonction du Management. Le management est effectivement compris ici au sens où l’entendait Peter Drucker, à savoir, l’art et la science de faire faire la bonne chose, par la bonne personne, au bon moment et au moindre coût. La nécessité de l’efficacité de cette fonction appliquée aux politiques publiques puise ses racines dans la critique d’une grille de lecture des organisations publiques longtemps limitée aux seuls apports des théories du management scientifique et administratif de Taylor et Fayol ou bureaucratique de Weber, occultant les réalités du flux réel du travail qu’éclairent aujourd’hui les apports des théories de l’approche contingente, de la régulation sociale, de la sociologie du changement dans les organisations et plus récemment, des courants du mangement public. Une politique publique est, en outre, toujours porteuse d’un projet de changement qu’il faudrait savoir gérer suivant une conception organique des organisations. Nous montrons comment les concepts issus de ces dernières théories sont mobilisés pour «contextualiser» l’acteur au sein du flux de travail caractéristique du système politico-administratif, tout en tenant compte de la loi systémique de la «variété requise».

Et pour cela, vous proposez une méthode: quelle est-elle?

Nous montrons d’abord que les trois fonctions de «suivi», «contrôle» et «évaluation» sont différentes. Confondre les trois poserait un grave problème d’efficacité de chacune d’elle, surtout lorsqu’il s’agit de l’étude des politiques publiques, lieu où une société construit les représentations qu’elle se donne pour agir sur le réel tel qu’il est perçu, comme dirait Pierre Muller. Nous proposons d’abord des modèles de représentation du flux de travail en vue du suivi. Ensuite une méthode de suivi, fondée sur la démarche inductive. L’accent est mis sur la nécessité d’observer le travail «en train de se faire» et de transmettre une information fiable au système décisionnel dans le but d’alerter et non de sanctionner. Une attention particulière est portée sur les facteurs qui influencent généralement la qualité des données résultant d’une telle démarche: l’absorption de l’incertitude, l’indifférence dialectique, les pièges méthodologiques, l’effet de halo… Cette démarche ne peut faire l’économie de l’approche constructiviste, l’information fournie émergeant de l’interaction avec les acteurs du terrain, d’une part, et le discours des politiques publiques recherchant toujours une cohérence transdisciplinaire, d’autre part.

Votre ouvrage concerne-t-il le cas des pays africains usuellement?

Pas du tout, bien sûr. La problématique de la gestion par les performances est universelle (voir par exemple les publications de l’OCDE ou de la Revue internationale des Sciences Administratives). Les référentiels théoriques mobilisés pour analyser cette problématique peuvent s’appliquer dans tous les contextes de développement des organisations publiques dans le monde. Justement, la démarche inductive préconisée permet de contextualiser aussi bien l’analyse et la résolution des problèmes, et de créer ainsi les conditions d’encrage des changements introduits dans les cultures locales. Tenez par exemple, le chapitre 4, intitulé «Enjeux et défis de la performance du système «politico-administratif»: réforme permanente? Ou échec permanent?», pose et analyse le problème de l’apprentissage dans les organisations publiques à la lumière des multiples et itératives réformes des services publics qu’on rencontre dans tous les systèmes administratifs.

Quelles sont les perspectives en matière de management public?

Notre centre d’intérêt dans le livre est la performance des services publics mesurée à travers celle des politiques publiques. Nous allons poursuivre la réflexion ainsi commencée en capitalisant les apports théoriques dans ce domaine et celui de l’économie numérique. Pensons par exemple à l’urgence de l’amélioration de la qualité de la dépense publique aujourd’hui ou à la nécessité de gérer les contradictions qui émaillent la rhétorique des politiques publiques et du management stratégique. Et si on imaginait un drone chargé d’observer certaines étapes très critiques d’un grand projet complexe? Ou encore un Système d’Intelligence Artificielle pouvant appuyer le dispositif d’analyse des volumineuses données collectées sur le terrain en application de la méthode inductive ou pour apprendre des échecs passés partout dans le monde?