14 mai 2024
dette publique éco citoyenne

Dette et citoyenneté

À propos de l’ouvrage La dette publique: Précis d’économie citoyenne, par Les économistes atterrés: Éric Berr, Léo Charles, Arthur Jatteau, Jonathan Marie, Alban Pellegris, éditions du Seuil, 214 pages, ISBN 978-2-021-47088-8

Entretien inédit, février 2021.

E. Berr en 5 dates:
  • 8 novembre 1969. date de naissance.
  • 24 août 1996. naissance de ma fille.
  • 12 juillet 1998. La France gagne la coupe du monde de football pour la première fois, grand moment de communion «black-blanc-beur».
  • 11 janvier 2015. manifestations gigantesques en France afin de défendre la liberté d’expression suite aux attentats perpétrés la semaine précédente, notamment contre Charlie hebdo.
  • 1er mars 2017. sortie de mon livre «L’intégrisme économique», publié aux éditions Les Liens qui Libèrent.
Introduction:

Depuis la parution en 2010 du manifeste rédigé par quatre économistes (Philippe Askenazy, Thomas Coutrot, André Orléan et Henri Sterdyniak) atterrés face au déni des gouvernants convaincus qu’il n’existe qu’une seule et unique façon de faire en matière économique (le fameux TINA There is no alternative de Mme Thatcher). Les économistes atterrés défendent, au contraire, que des alternatives sont possibles face à la crise et mettent au jour les croyances pour les fustiger.

Interview:

Vous faites partie du groupe des «économistes atterrés»: de quoi s’agit-il?

Constatant qu’à la suite de la crise des subprimes de 2007-2008, les gouvernants n’avaient pas tiré les leçons de ladite crise, quatre économistes, atterrés, ont rédigé un manifeste. Ils dénonçaient précisément le fait que rien n’avait changé en matière de politique économique, malgré l’inanité des politiques néolibérales qui, contre toute attente, perduraient au lieu d’être sérieusement mise en question.

Le succès de ce livre a conduit à la création en 2011 d’une association regroupant des économistes hétérodoxes – en regard de l’économie orthodoxe, néolibérale actuellement dominante –. économistes des conventions, institutionnalistes, keynésiens, … Des économistes qui pensent qu’il y a d’autres façons de voir et de faire de l’économie.

Les principaux travaux ont consisté à porter dans le débat public une autre parole économique. Il existe aujourd’hui un certain nombre d’ouvrages grand public. questions sur le fonctionnement de l’Union européenne; nouveau manifeste en 2015; critique de la politique macronienne. Et puis des ouvrages sur des grands thèmes. sur la monnaie en 2018 et celui sur la dette publique qui vient de paraître. Le but est de déconstruire les fausses vérités mais aussi de proposer des alternatives.

Justement, dans votre ouvrage, vous battez en brèche plusieurs idées sur la dette…

Il y a en effet plusieurs idées reçues que nous contestons, en particulier: 1) celle énonçant que la dette publique serait un fardeau qui pèserait sur les générations futures; 2) celle qu’elle serait au-dessus de nos moyens, qu’elle serait donc insoutenable; 3) qu’il faudrait, en temps de crise, recourir à des politiques d’austérité. Ces idées reçues servent à justifier les politiques d’austérité alors que les faits ne cessent de les contredire.

Nous développons aussi une analyse des caractéristiques de la dette publique, à savoir. qui la détient? Comment l’État la finance? Par quel moyen? Nous explicitons les mécanismes de l’endettement public.

Qu’en est-il du cas des pays en développement? Obéissent-ils aux mêmes raisons?

Non. Un chapitre questionne ce point, où nous montrons que la dette peut être un véritable outil de domination. La question de la dette ne se pose pas de la même façon pour les pays développés et les pays en développement, car les premiers s’endettent dans leur propre monnaie, les seconds en devises, ce qui fait porter sur ces derniers des contraintes de financement plus fortes puisqu’ils peuvent moins compter sur l’aide de leurs autorités monétaires.

Si nous estimons qu’il n’y a pas de problèmes de solvabilité de la dette pour les pays européens, pour les pays en développement la question de l’annulation de la dette ou au moins d’une partie de la dette peut se poser, notamment afin que le paiement de la dette publique ne se substitue pas aux dépenses de santé, d’éducation, etc., et de ne pas être enfermés dans des relations de dépendance économique vis-à-vis des créanciers étrangers.

Revenons au risque de revenir à une politique d’austérité…

Dans la crise sanitaire que nous vivons, les leçons de la crise financière de 2007-2008 semblent avoir été retenues, mais on voit se profiler une préparation de l’opinion ces derniers temps. il va falloir rembourser, nous prévient-on, comme pour sous-entendre que la dette publique est un problème et qu’il va falloir la rembourser. Dans l’ouvrage on conteste cette idée. la dette publique ne fonctionne pas du tout de la même façon que la dette privée – ménages ou entreprises. Ce qui importe n’est pas tant le niveau de la dette publique que la charge qu’elle représente en termes de paiement des intérêts. Or aujourd’hui les États s’endettent à des taux très faibles, voire négatifs, entrainant une réduction de la charge de la dette. La dette publique n’est donc pas un problème actuellement.

A fortiori. Elle permet d’éviter que la crise économique soit plus dramatique que ce qu’elle est, et elle permettrait de préparer l’après. la fameuse transition écologique.