15 mai 2024
Des chateaux forts aux cloisons mobiles

Des «cercles de qualité» au normes de qualité

À propos de l’ouvrage L’entreprise communicante: des châteaux forts aux cloisons mobiles, d’Isabelle Orgogozo, éditions d’Organisation, 1998, 440 pages.

Interview paru dans Le Temps du 21 mai 1999.

Perspective:

Isabelle Orgogozo, consultante et formatrice, auteure de plusieurs ouvrages, s’intéresse particulièrement à la question de la «qualité». Elle a été à l’origine de l’introduction des «cercles de qualité» en France dès la fin des années 70. Elle pointe ici la différence entre la philosophie de gestion des “cercles de qualité” et la qualité appréhendée à travers la «norme», affirmant que: «en délaissant les “cercles de qualité» au profit des normes, on retaylorise le travail”!

Interview:

Vous avez participé à la mise en place des «cercles de qualité» en France. A quoi renvoyait cette modalité de gestion?

L’idée majeure présidant à la mise en place des cercles de qualité consistait à sortir de la division du travail organisé par le taylorisme, parce qu’on reconnaissait l’importance de plus en plus grande de l’information dans l’économie en général et dans la production en particulier. Autrement dit, la philosophie des cercles de qualités – nés au Japon – revenait à considérer que les exécutants étaient aussi les concepteurs de leur travail, et que l’organisation de celui-ci était largement tributaire de ce que lesdits exécutants comprenaient de sa réalité quotidienne.

Les cercles de qualité ont fait long feu depuis, et l’on a assisté cette dernière décennie à l’introduction massive de la norme ISO: y a-t-il une différence entre les «cercles» et la «norme»? Si oui, à quoi tient-elle?

Il n’y a guère de différence en soi pour autant que l’ensemble des employés soient associés à la définition et à la mise en place de la norme. Je pense cependant que ce qui a indéniablement été perdu, c’est le pouvoir de proposition donné à la base. Trop souvent, en effet, la norme n’est qu’un moyen de retayloriser le travail. Quand les normes sont édictées d’en haut ou par des personnes extérieures à l’entreprise, il y a en effet tout lieu de penser qu’il y a une ignorance des contraintes réelles dans la production des biens et des services. Dès lors, ce type d’approche par la norme met les personnes dans une situation encore plus contraignante que la simple organisation taylorienne du travail. Du même coup, l’entreprise perd la richesse créative de ses employés.

Par cette utilisation généralisée de la norme, sait-on encore ce que le mot «qualité» signifie?

Les définitions, les approches et les méthodes se sont en effet multipliées, le point fédérateur restant que la qualité renvoie à l’ensemble des règles et des pratiques permettant d’assurer les meilleurs produits au client, du point de vue des coûts, des délais, etc. Mais s’est ajoutée néanmoins l’idée de la sécurisation: en plus de la régularité dans la production de biens, on recherche une qualité identique à travers le temps. Au fond, ce que je pense, c’est que les «cercles de qualité» étaient des éléments de coordination du travail, tandis que l’appréhension de la qualité à travers la norme fait de cette dernière avant tout un instrument de sécurisation des responsables et des clients.