16 mai 2024
Profitable éducation

Dans les cuisines de l’éducation

À propos de l’ouvrage Profitable Education. Une histoire de passion, de haine, d’ambition et d’argent… de Veronica Velo, éditions Édilivre, 2013, coll. classique, 60 pages.

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, mars 2013.

V. Velo en 5 dates:

  • 1971 : naissance à Buenos Aires.
  • 1995 : arrivée en Europe pour des études de post-grade à l’Université de Lausanne (UNIL).
  • 2003 : obtention d’une thèse de doctorat délivrée par l’École des HEC, UNIL.
  • 2001-2010 : enseignante-chercheuse en Suisse, France, Angleterre, Finlande et France.
  • 2010 : reprise des activités de formation et conseil en tant qu’indépendante, basée sur France.

Veronica Velo est enseignante et consultante en management interculturel.

Interview:

Votre ouvrage traite de la question du changement dans les écoles hôtelières : en quoi consistent les transformations ?

Indiscutablement, depuis le début de leur existence, ces écoles ont éduqué des élèves venus des quatre coins du monde et ont aussi employé des enseignants d’origines variées. Ceci dit, leur fonds de commerce a toujours été le savoir-faire suisse : la qualité et le professionnalisme dans le service et l’obsession de la perfection en termes de métier. Pour assurer la pérennité de ces valeurs, il y avait toujours quelque part dans ces institutions un patron visible qui assumait des responsabilités.

Or, avec les rachats, la responsabilité managériale s’est dissoute, et on a alors commencé à travailler pour l’inconnu, c’est-à-dire des individus incorporels qui prenaient des décisions indiscutables globalement, pour être mises en place localement. Cela bien entendu sans tenir compte justement de ce qui se passe sur place et, surtout, sans avoir le moindre intérêt pour le savoir-faire suisse ni pour sa réputation : rien d’autre que le compte de résultat !

En fin de compte, avec le rachat de ces écoles par des multinationales, ces petites familles où l’on se mettait à disposition des intérêts du business de par son appartenance au groupe, sont devenues des engrenages d’une grosse machine à profit qui se sert de la réputation de certaines valeurs suisses telles que la propreté, la rigueur, la passion pour le travail bien fait… pour vendre massivement à l’étranger, mais sans aucune attache à la tradition locale.

De la sorte, la qualité en souffre puisque, anciennement contrôlée par « le patron » qui imprimait son nom et sa réputation personnelle comme signature sur tout ce qui se passait dans les locaux sous sa surveillance, la qualité est soudain devenue l’affaire des institutions d’accréditation internationales… à mon avis pas toujours très honnêtes, ni très crédibles et, surtout, peu idoines pour contrôler quoi que ce soit.

La question des accréditations dans ces transformations semble majeure…

Justement, lorsque les institutions se globalisent et se délocalisent, il faut contrôler. Mais le contrôle n’est plus organisé par un vrai patron, une vraie direction qui met son nom sur le produit final, mais à travers une série d’institutions mal coordonnées qui ne tiennent pas compte de tous les facteurs nécessaires. C’est-à-dire que dans une succursale d’une école hôtelière suisse, on pourra bien faire beaucoup de choses qui passeront entre les mailles du filet et la réputation de la Suisse en tant que producteur de qualité dans le service en souffrira sévèrement.

L’éducation peut-elle, selon vous, être basée sur le profit ?

Je ne suis pas contre une « éducation profitable », pour autant qu’elle profite à toutes les parties prenantes concernées : aux étudiants, à la société locale, au pays d’origine qui met sa réputation à disposition, aux employés… et pas seulement à certaines sociétés cotées en bourse…

Avec la centralisation de l’éducation par des multinationales, le multiculturalisme n’est pas exploité dans le bon sens, les salaires des employés ne changent vraiment pas beaucoup, et leurs conditions de travail ne s’améliorent pas. La qualité suisse risque de ne pas s’exporter, mais au contraire, de se réduire au minimum imposé dans chacune des localités ou le travail s’exerce. Bref, il n’y a que le NASDAQ qui en profite…

Votre livre semble osciller entre réalité et fiction : quelle est leur part respective ?

Il est toujours difficile de répondre à une telle question. Je préfère tout simplement inviter les journalistes à déterminer, à la suite à d’investigations approfondies et professionnelles, ce qu’il y a de vrai et ce qu’il y a de fiction dans l’histoire, car c’est leur rôle et l’honneur de leur métier que de s’intéresser à ce que l’on « cuisine » dans ces écoles, et de décrypter ce qui est vrai et ce qui est fantaisie… Un tel travail est toujours préférable à un scandale qui surgirait (du style Spanghero, pour prendre un exemple récent). Personnellement, je ne suis pas Suissesse et je ne vis plus en Suisse, mais j’ai deux diplômes délivrés par l’UNIL, et cela implique nécessairement que si la réputation de la qualité suisse venait à être égratignée, l’implication sur le plan du CV suivra. Pour répondre à votre question, je dirais que c’est cette considération qui a été la seule motivation dans l’écriture de ce texte !