15 mai 2024
hégémonie chinoise

Automne de l’hégémonie américaine et printemps chinois

À propos de l’ouvrage Adam Smith à Pékin: les promesses de la voie chinoise, de Giovanni Arrighi, éditions Max Milo, 500 pages (préface d’Alain Lipietz; trad. de l’anglais par Nicolas Vieillescazes)

Compte-rendu paru dans le supplément mensuel INDICES du journal L’Agefi en décembre 2009, p. 4.

L’auteur décrit une période d’expansion matérielle suivie par un déplacement du lieu de l’accumulation du capital au profit du secteur financier, annonçant l’«automne» de l’hégémonie américaine.

Et si la réussite du développement économique chinois rejoignait la vision d’Adam Smith qui imaginait, dans La richesse des nations, l’avènement d’une société mondiale de marché fondée sur une plus grande égalité des civilisations du monde? Telle est sans doute la question centrale qui traverse l’ouvrage d’Arrighi.

Et si une transition d’un régime à l’autre – de l’américain au chinois – augurait d’un capitalisme mondial différent, procurant une meilleure santé de la planète et un bien-être de l’humanité? Autre question que pose finalement l’auteur plutôt optimiste quant à la capacité du tigre géant asiatique à ne pas détruire les ressources de la planète.

La Chine est là, et bien là. Il aura fallu la crise de 2008 pour que les thèses de Giovanni Arrighi prennent un relief étonnant de justesse. En effet, avant la crise, la thèse énonçant un monde où les États-Unis seraient certes dominants, mais pas centralement, sans hégémonie, était difficile à imaginer. Et pourtant, ce qui s’est passé depuis l’a bien montré. Or, la version originale d’Adam Smith à Pékin, œuvre colossale parue en 2007, cette année traduite, possède une force prémonitoire.

Mais, revenons au point de départ de l’ouvrage et de son auteur. Théoricien de l’évolution longue de l’économie du monde capitaliste, Arrighi analyse l’échec de la tentative américaine de créer un empire mondial après le drame du 11 septembre 2001. L’administration américaine lançait en effet, sans bonheur, le Projet pour un nouveau siècle américain. Signal d’une hégémonie défaite. Simultanément, l’auteur se penche sur l’émergence de la Chine depuis la décennie nonante, pays que caractérise une indépendance totale vis-à-vis des États-Unis.

Revenons en arrière pour situer le travail d’Arrighi sur sa longue période.

Dans un ouvrage précédent non traduit en français, The Long Twentieth Century (1996), dans le sillage duquel Adam Smith à Pékin s’inscrit, l’auteur enquêtait sur la crise économique des années 1970, marqué notamment par la non-convertibilité du dollar, la crise du pétrole et l’échec de la guerre du Vietnam. Il s’appuyait pour ce faire sur une méthodologie historique pour balayer plusieurs siècles d’histoire du capitalisme.

Mettant en exergue les hégémonies successives: génoise, hollandaise et britannique, il remarquait que l’américaine avait suivi la même trajectoire que dans les autres cas: une période d’expansion matérielle, suivie par un déplacement du lieu de l’accumulation du capital au profit du secteur financier, annonçant l’«automne» de l’hégémonie, aujourd’hui celle des États-Unis.

Adam Smith à Pékin est composé de quatre parties.

Dans la première partie, Arrighi précise le cadre théorique de son étude, où il met en exergue la théorie smithienne du développement économique. L’économiste britannique percevait qu’il y avaitx des voies différentes en vue de l’augmentation de richesse d’une nation. Et il s’intéressait surtout au développement interne d’une nation plus que du commerce international.

Encouragé à apprendre de l’expérience d’autres contrées du monde, Smith citait en exemple la Chine qui suivait selon lui une voie «naturelle» de développement économique: elle favorisait son développement sur la base du marché domestique. Au contraire des européens qui avaient emprunté une voie «contraire à l’ordre naturel»: ils bâtissaient leur développement sur l’extérieur.

Arrighi défend l’idée que la théorie des marchés d’A. Smith, comme instruments de gouvernement, peut être spécialement pertinente pour une compréhension des économies non capitalistes de marché. Selon Smith, le caractère capitaliste du développement basé sur le marché ne tient pas à la présence d’institutions capitalistes mais à la relation du pouvoir de l’état avec le capital et la subordination de l’état à l’intérêt de classe. Dans le premier cas, le développement à la chinoise; dans le second, le développement capitaliste.

Ce cadre théorique va être utilisé dans les deux parties suivantes, pour précisément analyser les turbulences mondiales, nées d’une suraccumulation de capital dans un contexte mondial marqué par la révolte contre l’Occident. Revenant notamment sur le contexte des soixante et septante, l’auteur montre comment commence le processus de décadence de la puissance hégémonique. Auparavant protectrice eu égard à sa puissance militaire, elle perd de sa légitimité en monnayant sa protection. Cette transformation des États-Unis se manifeste dans une série de faits peu glorieux, hormis les succès obtenus dans les conflits en Bosnie et au Kosovo. La domination subsiste encore, mais sans hégémonie, preuve en est l’échec du Projet pour un nouveau siècle américain. L’échec en Irak aussi qui vient confirmer la chute de la supériorité militaire occidentale.

La quatrième et dernière partie de l’ouvrage s’attache à faire le point des réformes économiques en Chine et de ses contradictions. Elle examine les stratégies possibles des États-Unis vis-à-vis de la Chine. Elle évalue le devenir économique et écologique.