15 mai 2024
fragmentation du monde

La nouvelle fragmentation du monde

À propos de l’ouvrage Après la crise? Les politiques économiques dans le monde, de Gilles Dufrénot et Alain Sand-Zantman, éditions Économica, 2010, 200 pages (préface de Jean-Hervé Lorenzi)

Compte-rendu paru dans le supplément mensuel INDICES du journal L’Agefi en janvier 2010, p. 4.

Un monde fragmenté se dessine sous yeux et, de facto, des crises futures seront forcément de nature différentes que celles qu’on a connu jusque maintenant.

Cet ouvrage porte sur les comportements des responsables de la politique économique. Ce n’est donc pas un ouvrage de plus sur la crise des subprimes. Les auteurs y précisent bien sûr les raisons de la propagation de la crise. Ils s’attachent surtout à décrypter les décisions économiques prises par les gouvernements et les banques centrales depuis. Ils ont retenu une approche analytique plutôt que chronologique. Leur but est de documenter les actions menées, de relever les faits et les arguments saillants, de sorte à pouvoir tracer les issues possibles dans l’après-crise.

L’ouvrage est composé de six chapitres. Les deux premiers sont consacrés aux pays riches. Deux autres, aux pays émergents et en développement. Les deux derniers soulèvent les questions posées par la régulation de la globalisation financière et au paysage multipolaire qui se forme sous nos yeux.

Les deux premiers chapitres. On y saisit les réponses des gouvernants au travers des plans de relance comprenant baisse d’impôts et augmentation des dépenses sociales et des investissements. Gravité il y a, soutiennent les auteurs, en raison de la forte hétérogénéité entre les pays industrialisés, notamment entre les pays de l’ouest et les nouveaux entrants de l’UE, durement touchés; sans compter qu’à l’intérieur même des pays de l’ouest de l’Europe, les différences sont à l’œuvre aussi. Par exemple entre l’Allemagne dont le problème est essentiellement lié aux exportations, et la Grande-Bretagne dont la finance représentait un tiers de la croissance.

Si en termes de solutions, tous les pays ont mené le même type d’actions, cela s’est effectué ni avec la même ampleur, ni dans les mêmes proportions en termes d’augmentation des dépenses et de baisse d’impôts. Outre la question de la solidité des fondements des stratégies, les auteurs abordent un problème parmi d’autres: même si l’ampleur des actions est d’importance comparable, l’augmentation des dépenses risque d’entraîner des bulles obligataires. Par ailleurs, certains pays ont plus que d’autres intérêts à des actions isolées; les États-Unis par exemple profiteraient moins que les pays européens d’une action coordonnée.

Après avoir examiné la question de savoir si le soutien devait être effectué en faveur de la consommation ou de l’investissement, les auteurs abordent de la question du remboursement de la dette. Problème lancinant de finances publiques: si on consolide trop tôt (préconisation de Bruxelles), on risque de casser la croissance et, à l’inverse (préconisation du FMI et de l’OCDE), les finances pourraient devenir insoutenables.

C’est à un véritable décryptage des décisions économiques que nous invitent les auteurs, on l’aura compris, ici résumé à très grands traits et partiellement.

Quid des pays émergents et en développement? Les pays du groupe BRIC ont des défis différents les uns des autres. Alors que le Brésil semble offrir une bonne résilience, la Russie vit un revers de fortune à cause de deux chocs simultanés. La chute des matières premières vient épuiser les réserves de change accumulées grâce au gaz et pétrole, ce qui rend difficile la défense du rouble. La Chine a profité des plans de relance comme une occasion de mettre en place les politiques prévues depuis longtemps. Quant à l’Inde, si ses entreprises ont profité pour modifier leur stratégie internationale, les inégalités sociales s’aggravent terriblement.

Les pays d’Amérique latine avaient mis en place, rappellent les auteurs, des politiques efficaces au sortir des chocs des années 1990. Elles offrent, à l’instar du Brésil, une bonne résilience. Les pays africains sont eux aussi exposés, notamment l’Afrique du Sud et le Nigéria au système financier élaboré. Pour les autres pays, les effets sont indirects, le risque renvoyant pour eux à un déséquilibre en termes de balance des paiements.

Nos auteurs s’attachent à lire les signaux faibles d’un monde financier multipolaire qui se dessine sous nos yeux. Ils évaluent le rôle de différents acteurs dans la propagation de la crise (fonds souverains, hedge funds, equity markets…), ainsi que les marges de manœuvre des États. Faibles en l’occurrence, chacun essayant de tirer la couverture à soi en fonction de ses intérêts. Cela est notamment visible au niveau des règles prudentielles entre l’EU et les USA.

Les solutions transitoires sont difficiles, expliquent nos auteurs, tant que le dollar reste la monnaie internationale. Le remplacer ne semble pas voulu, quoiqu’il existe des projets d’unions monétaires et économiques régionales pour se protéger de la mondialisation. Un monde fragmenté se dessine sous yeux et, de facto, les crises futures seront forcément de nature différentes que celles qu’on a connues jusque maintenant.

Clair et rigoureux, l’ouvrage de Gilles Dufrénot et Alain Sand-Zantman nous invite dans un langage précis et non jargonnant à saisir les enjeux et les débats qui fondent les décisions et les stratégies de réponse à la crise. On y voit l’économie dépouillée ses oripeaux pseudo-scientifiques.