14 mai 2024
point de vue

Au-delà du «Diversity Management»

Article signé avec Nataša Maksimović (Heg Arc), Évalde Mutabazi (EM Lyon) et Philippe Pierre (Uni Paris 9-Dauphine) et paru dans le supplément mensuel Indices du journal L’Agefi en février 2011, à propos de la «sortie» du dossier HRM / HR Today, n°25: Gestion de la diversité. L’urgence d’un management interculturel, éd. jobindex, Zurich, 54 pages qu’ils ont rédigé.

 

Dans les années qui sont les nôtres, le bon manager est non seulement attentif aux plus fragiles, aux personnes différentes, mais aussi apte à évoluer dans un contexte international et multiculturel. Dans les grandes entreprises par exemple, l’arrivée de cadres en provenance des filiales internationales, l’intégration souhaitée, celle de personnes discriminées ou minoritaires, la manifestation de leur ethnicité ou de leur bi-culturalité sont des faits censés apporter quelque chose en plus, une addition à chaque culture originelle d’équipe.

En Europe, les politiques de gestion de la diversité correspondent à une rhétorique qui s’est diffusée précocement dans les grandes entreprises britanniques, soumises à des normes publiques antidiscriminatoires très coercitives – en matière ethno-raciale notamment – que celles qui existaient dans les autres pays européens. Ce discours a profité aussi de la réalité des implantations croisées de filiales issues des pays anglo-saxons dans les grands groupes d’autres pays européens, du poids des agences de notation sociale et l’on a progressivement évoqué, sous l’influence de l’Union européenne, la promotion du «business case» (i.e. la logique d’affaire ou l’avantage économique) de la diversité.

L’antériorité de l’outil «Diversity Management» puise ses racines sur le continent nord-américain dans les années 1980. Il est fondé, dès l’origine, sur l’intérêt d’employeurs à valoriser une main d’œuvre nouvelle – les deux tiers des arrivants sur le marché du travail, à savoir les femmes et ceux que l’on nomme «minorités ethniques». Le «diversity management» se veut, dès l’origine, une véritable stratégie à part entière, moins contraignante que les injonctions juridiques en matière d’égalité des chances (Equal Employment Opportunity) et de discrimination positive (Affirmative Action) imposées par les pouvoirs publics. L’idée du «diversity management» renvoie à un «agir pour» plutôt qu’à celle du «lutter contre».

L’on sait qu’en management, lorsqu’un mot nouveau s’impose massivement, cela signale généralement une crise. À quelle crise renvoie le mot? Quelles solutions sont imaginées? Quelle en sont les risques et les promesses? Existe-t-il d’autres solutions ou d’autres pistes?… Voilà quelques-unes des questions qui ont motivé l’écriture du dossier HRM sur la «gestion de la diversité».

La gestion de la diversité vise à remplacer la «peur du gendarme», la force de la sanction de la loi et aussi les risques de détérioration d’image en cas de manquement, par un discours sur l’efficacité économique de «diversités du personnel» censées offrir aux entreprises un avantage comparatif puisqu’il s’agit désormais de valoriser toutes les différences des individus, y compris la diversité de leurs «talents», de leurs «cultures» ou encore de leurs «styles de vie».

Une «gestion de la diversité» peut-être utile aux entreprises et aux organisations en ce qu’elle peut permet d’interroger les normes dominantes et cela est en soi positif; mais seul un véritable management interculturel peut rendre rencontrer les véritables défis de la diversité que doivent affronter les entreprises et les organisations. Nous prenons position sur différents sujets centraux dans le débat sur la diversité dans les organisations. Nous pensons par exemple qu’à tout prendre, mieux vaut pour atteindre l’égalité des chances, la solution de l’action positive plutôt que celle de discrimination positive doublement problématique par son inefficacité et sa tendance à assigner des personnes à résidence identitaire. La première renvoie dans notre acception à une question de territoire tandis que la deuxième renvoie à des questions en termes identitaires. Nous pensons aussi que le retour de catégories comme celle d’«ethno-racial» et des mesures entre autres indicateurs y renvoyant est régressif et dangereux.

Alors que les politiques de diversité sont largement associées aux populations minoritaires et défavorisées, le «management interculturel» quant à lui est orienté individu. En rétablissant la notion de la compétence interculturelle, on constate qu’elle répond le mieux à la méritocratie car le management interculturel renvoie aux personnes, notamment aux expatriés amenés à émigrer dans le cadre de la mobilité internationale. C’est le sens des interventions dans les entreprises et les organisations de l’équipe que nous formons.