14 mai 2024
prise de parole

Soigner le travail

À propos de l’ouvrage Des médecins du travail prennent la parole: un métier en débat, par le collectif Association Santé et médecine du travail: Syros, 1998, 400 pages.

Compte-rendu paru dans les pages Carrière du journal Le Temps, rubrique Le livre de la semaine, le 11 septembre 1998.

Un premier ouvrage écrit par les membres de l’association Santé et médecine du travail (SMT), Souffrance et précarité au travail (Syros, 1993), donnait déjà la mesure de l’ampleur des dégâts sur la santé, provoqués par la précarisation des emplois, l’intensification du travail ou la violence des rapports sociaux dans l’entreprise. Essai comprenant des monographies, son style renvoyait essentiellement à une éthique du témoignage. Le deuxième ouvrage des membres de SMT contient lui aussi de nombreux cas tirés de la pratique, mais il a en même temps une ambition analytique plus affirmée. Dans les grandes lignes, l’idée développée renvoie à la subordination grandissante de la pratique médicale d’entreprise au primat de l’économie. Deux principales configurations peuvent exister dans le champ professionnel de la médecine du travail. Soit les médecins travaillent pour le compte d’une seule entreprise de laquelle ils sont directement salariés – quand il s’agit de grands groupes –; soit ils travaillent pour une kyrielle d’entreprises et sont alors salariés d’un service interentreprises, lorsqu’il s’agit de PME. Mais, dans tous les cas, ils sont directement ou indirectement salariés par les employeurs dirigeant et gérant de fait la médecine du travail. La plupart de ces professionnels paraissent s’accommoder de cette situation, pas les membres de l’association SMT. Davantage critiques, pour eux cette situation n’a plus sa raison d’être. Ainsi, plutôt que de s’inscrire dans une logique d’entreprise, en estimant que leur métier est d’accompagner le développement de l’entreprise, ils pensent au contraire que leur métier consiste à accompagner la construction de la santé des sujets au travail. Pour cela, ils défendent l’idée que la médecine du travail doit devenir une question de santé publique, et non plus de l’envisager dans l’espace clos des entreprises. Comment d’ailleurs cela serait-il possible dès lors que, par exemple, de nombreux travailleurs sont «externalisés» – sous-traitance, emplois hors normes. La centaine de textes qui constituent cette petite somme sont d’une lecture agréable, le tout étant en outre très bien agencé. La première partie a principalement trait à l’organisation du travail et à son rapport à la santé. La deuxième est une réflexion sur le métier même de médecin du travail: la clinique, ses règles, la difficulté de plus en plus grande à l’exercer. La troisième défend enfin l’idée que la santé au travail est devenue un problème de santé publique, et qu’elle doit donc être radicalement repensée et réorganisée.