16 mai 2024
Savoirs, réciprocité

Pour une citoyenneté active

À propos de l’ouvrage Les savoirs, la réciprocité et le citoyen, de Claire Héber-Suffrin, éditions Desclée de Brouwer, 1998, 429 pages, préface de Philippe Meirieu.

Compte-rendu paru dans les pages Carrière du journal Le Temps, rubrique Le livre de la semaine, le 13 novembre 1998.

Claire Héber-Suffrin est enseignante et pédagogue. Son ouvrage est le fruit d’une réflexion effectuée sur les liens entre certaines formes d’apprentissage – particulièrement la formation réciproque – et la citoyenneté active. Idée centrale: au lieu de prétendre former les gens à la citoyenneté, il convient de reprendre concrètement, dans les systèmes mêmes de formation, les conditions et les dimensions de ladite citoyenneté. Enjeux: la responsabilisation de chacun devant son propre apprentissage; la nécessaire construction collective d’une mémoire des aventures individuelles. Fragment de l’argumentation: quand on apprend à l’autre, on n’est jamais perdant puisque ses questions nous refont parcourir autrement notre propre savoir. Thèse: l’apprentissage de la coopération est un système plus efficace d’apprentissage que celui de la compétition. Exemples pédagogiques concrets à l’appui. L’ouvrage est organisé en trois grandes parties. Claire Héber-Suffrin développe d’abord l’idée qu’un lien très fort existe entre les histoires de vie et les aventures collectives. Dans les projets sociaux, collectifs et coopératifs, on ne peut négliger, soutient-elle, ni l’histoire des individus, ni l’histoire des réseaux dont ils sont membres, ni l’histoire collective de la société. L’auteure s’attache ensuite à pointer trois dimensions de l’apprentissage. D’abord l’auto-formation: on ne sait pas de quels savoirs on aura besoin demain; s’en sortiront ceux qui auront acquis les réflexes, les habitudes, les techniques leur permettant de se former eux-mêmes en fonction de leurs besoins et de leur projet. Ensuite, la formation réciproque, où l’on se forme autrement qu’en ingurgitant: elle est une véritable démarche d’apprentissage, et pas seulement un système valable sur le plan de l’éthique. Les systèmes enfin: on apprend non seulement des savoirs, mais aussi des systèmes; dans ceux où prédomine le mode agonal, on apprend la rivalité et la compétition; dans ceux où prédomine le mode convivial, la coopération; dans ceux où l’on apprend à se construire soi-même, on apprend à construire de la société. Claire Héber-Suffrin montre enfin – troisième partie – en quoi le fait de rentrer dans des démarches de réciprocité peut modifier le rapport que l’on a notamment à la cité, à la ville. A une époque où les enseignants sont souvent déconsidérés, risquons le dithyrambe poétique: ce beau livre d’une pédagogue – et d’une combattante – est un morceau du miroir brisé d’Aphrodite.