14 mai 2024
Francis Ginsbourger

Gestionnite aiguë

À propos de l’ouvrage La gestion contre l’entreprise: réduire le coût du travail ou organiser sa mise en valeur, de Francis Ginsbourger, éditions La Découverte, 1998, 278 pages.

Compte-rendu paru dans les pages Carrière du journal Le Temps, rubrique Le livre de la semaine, le 20 novembre 1998.

«Les entreprises s’arc-boutent sur la gestion qui a servi à leur croissance, au moment où il leur faudrait apprendre à se développer autrement en valorisant leurs ressources internes», écrit l’auteur de ce livre, un économiste heureusement iconoclaste qui, de bout en bout, s’efforce d’articuler «travail» et «emploi». «Le modèle de gestion taylorien, insiste-t-il, survalorise le poids de la ressource travail dans l’obtention de performances, cependant que l’efficience paraît faible en ce qui concerne l’utilisation des autres ressources… C’est au fond de la survalorisation du rôle de ce facteur de production parmi d’autres qu’est le travail que provient la quête incessante de sa réduction.»

L’ouvrage est divisé en deux parties. Dans un premier temps, Francis Ginsbourger conteste l’attitude consistant à ne considérer le travail que comme un coût. La majorité des économistes prétendaient en effet dans les années 80 que les personnes peu qualifiées étaient d’avance exclues. Funeste prophétie autoréalisatrice contre laquelle s’insurge l’auteur, car, en faisant peser les chiffres seuls dans les décisions, les requalifications nécessaires n’ont pas été opérées. Ginsbourger pose que dans nos vieux pays industriels où le coût du travail est élevé, ce qui fait la différence ce sont les traditions et les savoir-faire, des règles et des institutions, en bref, ce que l’auteur appelle une «organisation du travail». Or, déplore-t-il, ces institutions et ces règles, mises en cause depuis un quart de siècle, sont aujourd’hui en déshérence, les décisions unilatérales ayant remplacé les jeux sociaux d’une saine conflictualité. Thèse centrale de la première partie, basée sur un quart de siècle d’enquêtes, d’études et de recherches: si l’on a supprimé des emplois, c’est parce que l’on n’a pas su valoriser, ou revaloriser le travail. Dans un second temps, l’auteur met en lumière la mal mesure des critères comptables généralement utilisés, souvent trompeurs. La seconde partie de l’ouvrage tourne ainsi autour des notions de compétitivité, de rentabilité et de productivité. Ginsbourger montre notamment que cette dernière notion est employée de façon particulièrement injustifiée. Dans une économie de standardisation, l’organisation suivait le marché; à l’inverse, dans une économie de réactivité, elle doit s’y adapter en temps réel, argumente l’auteur qui invite donc à reconsidérer lesdits critères. Finalement, un livre sur un mal contemporain: la gestionnite aiguë.