16 mai 2024
sortir de l'euro

Voies de sortie pour une Europe embourbée

À propos des ouvrages Faut-il sortir de l’euro?, de Jacques Sapir, éditions du Seuil, 2012, 204 pages; Zone Euro: éclatement ou fédération, de Michel Agglietta, éditions Michalon, 2012, 200 pages; et The End of the Euro: The Uneasy Future of the European Union, de Johan Van Overtveldt, éditions Agate Publishing, 2011, 206 pages.

Compte-rendu paru dans le supplément mensuel INDICES du journal L’Agefi en février 2012, page 4.

La vulnérabilité éclatante de la «monnaie unique» européenne oblige les économistes à reconnaître l’ampleur de sa défaite. Tandis que certains souhaitent une Europe véritablement fédérale, d’autres prônent un retour à une monnaie commune.

Dans un ouvrage paru à la fin de l’année dernière «The End of the Euro», Johan Van Overtveldt, rédacteur du magazine d’affaires Trends, évaluait trois scenarii possibles face à la crise du système de la monnaie unique: la poursuite du système actuel, la dissolution pure et simple, ou encore un réaménagement du système. Le ton était donné, le sujet devenant de moins en moins tabou face aux dégâts économiques criants. L’économiste évaluait tout à tour chacune des solutions et en pointait les risques et les avantages. Dans son ouvrage, il notait un fait nouveau massif, à savoir que la grande majorité des dirigeants comme des citoyens allemands n’étaient désormais plus prêts de se voir brandir sous le nez à tout bout de champ les marques d’une culpabilité historique pour justifier des efforts qu’ils jugent inconsidérés de la part de leur pays, souhaitant que l’on cesse ce qu’ils considèrent comme un chantage récurrent.

Il est vrai que les européens de la première heure, traumatisés par la période sombre du milieu du siècle dernier, se sont employés à faire comprendre que tous avions intérêts à ne pas laisser ce voisin voler de ses propres ailes, mais plutôt le contraindre à partager des règles communes de sorte à le garder d’une certaine manière, sous contrôle. Cela a été le cas dès les débuts de l’intégration européenne avec notamment la mise en place de la Communauté du charbon et de l’acier (CECA) puis de la Communauté économique européenne (CEE) dans les années cinquante jusqu’à aujourd’hui. Cela a été a fortiori le cas aussi lors de la création de la monnaie unique où l’Allemagne a accepté comme un sacrifice inestimable d’avoir du se séparer de sa monnaie proprement nationale. Or, à lire les ouvrages récents de deux économistes français, on peut se demander si le prix à payer de cette hantise d’un retour du passé ne se révèle pas finalement exorbitant pour la grande majorité des pays de l’Union européenne et de la zone euro à l’exception de l’Allemagne et de quelques pays satellites. Ceux-là auraient été les grands et seuls bénéficiaires du système de la monnaie unique, s’accordent-ils. Quant aux solutions envisagées pour sortir de la crise, ils soient en opposition.

L’un des auteurs a été partisan du projet de monnaie unique avec l’espoir, assure-t-il, que l’Europe se fut engagée dans un processus de fédéralisation. Autrement dit, il s’inscrit dans la ligne des pères de l’Europe communautaire soucieux de supranationalité. Michel Aglietta explique dans son ouvrage «Zone Euro, éclatement ou fédération» la situation de vulnérabilité de la zone euro à travers la crise du capitalisme financiarisé et la disparité de plus en plus grande de la compétitivité des économies. Il met alors au jour les failles cachées de la construction de la monnaie unique, le manque d’unité politique représentant selon lui une anomalie du système. Outre dans le cas de la Grèce où il préconise une solution à l’Argentine, il défend la thèse d’une plus grande intégration vers un système véritablement fédéral: par l’élargissement du mandat de la BCE (banque centrale européenne) pour faire de l’euro une monnaie complète; par la formation d’une union budgétaire qui soit un partage de souveraineté pour déterminer collectivement des trajectoires budgétaires pluriannuelles; par le développement d’un vaste marché d’eurobonds; par un engagement dans un projet de rehaussement de la croissance au travers une véritable politique industrielle… européenne.

L’autre auteur est un chantre de la dé-mondialisation. Démontrant l’utilité de mises en place raisonnées de moyens protectionnistes, sa vision de l’Europe est proche de la vision gaullienne d’une Europe des Nations. Jacques Sapir critique dans son ouvrage «Faut-il sortir de l’Euro?», ce qu’il nomme le fédéralisme furtif imposé aux citoyens des pays européens contre leur volonté, donc de facto anti-démocratique. Il fustige tout bonnement le fédéralisme, solution parfaitement inadéquate selon lui pour affronter la crise actuelle. Il en donne les raisons. Pour lui, il convient de sortir du miroir aux alouettes que constitue l’euro et c’est pourquoi il préconise des stratégies de sortie tant qu’il est encore temps. Parmi les solutions tracées et discutées: celles d’une dissolution totale, celle d’une bipartition entre un euro du Nord et un euro du Sud, et celle d’une sortie de l’euro pour certains pays seulement. Il évalue les effets possibles, les chances et les dangers et leurs conditions. La chirurgie qu’il préconise est disons-le une chirurgie lourde. Et s’il défend la solution de la dissolution de la zone euro, c’est avec prudence tant les conséquences en termes de déstabilisation au plan international peuvent être dramatiques.

À travers ces ouvrages, on est instruit des raisons de l’avantage qu’a pu retirer l’Allemagne de la monnaie unique. On se rend de ce qui s’est joué depuis l’Europe des petits pas des couples Adenauer-Schumann à Giscard-Schmidt, à une Europe marquée du sceau de l’évidence historique depuis le couple Kohl-Mitterrand et ses dérives. L’Europe est embourbée et il faudra de l’intelligence et de la consistance pour sortir de l’impuissance qui la caractérise.