13 mai 2024
École au défi du numérique

L’École au défi du numérique

À propos de l’ouvrage L’École au défi du numérique : Pour une éducation citoyenne ? de François Granier et Roland Labrégère, éditions Raison et Passions, 2012, 202 pages.

Interview paru dans L’Agefi, supplément mensuel INDICES, décembre 2012.

F. Granier en 5 dates:

  • 1949: naissance, vit à Paris, père de deux enfants.
  • 1976: chef de service (Finances & RH).
  • 1979: formateur d’adultes.
  • 1991: thèse de doctorat en psychologie sociale.
  • 2000 – 2009: observatoire des métiers du ministère de l’Agriculture.

Perspective:

François Granier est chercheur-associé au cnrs-cnam.

S’il existe une opinion partagée dans nombre de pays post-industrialisés, c’est bien celle d’une crise de l’École. Crise des missions, crise de reconnaissance, crise des moyens, crise de gouvernance et depuis peu crise de recrutement se conjuguent. Au même moment, la culture numérique séduit les jeunes et pèse sur les orientations de la société. Loin d’être un risque, la société de la connaissance qui s’installe est un ensemble de défis : défi de l’implantation d’une culture nouvelle, défi de la formation des maîtres, défi de l’éducation à la citoyenneté…

Interview:

(réponses de François Granier et Roland Labrégère)

Les ressources numériques sont-elles perçues comme une opportunité au service des politiques éducatives ?

Le numérique génère des jugements et des attentes multiples et souvent contradictoires. Les parents sont, dans leur très grande majorité, convaincus que l’École doit favoriser l’apprentissage et la maîtrise des technologies de l’information et de la communication. Pouvons-nous citer une activité professionnelle qui n’implique pas déjà un haut niveau d’habileté dans l’usage des TIC ? Mais, les familles ont pour vision celle de leurs enfants reclus dans leur chambre, rivés à leurs consoles de jeux ou tchattant sans fin. Pour elles, l’École doit rester un lieu d’acquisition de savoirs sous l’autorité d’un « maître sachant » et le numérique doit, à l’École, demeurer à distance. Quant aux pouvoirs publics, ils demeurent bien souvent sujets à l’illusion technologique et considèrent qu’équiper massivement les classes de tableaux blancs et de plateformes serait un gage de modernité. En outre, certains espèrent ainsi contenir les budgets des politiques éducatives en limitant les effectifs d’enseignants. D’autres, plus clairvoyants, préfèrent observer les innovations pédagogiques et, si elles s’avèrent pertinentes, favoriser leur généralisation.

Comment expliquez-vous ces attentes et pratiques divergentes ?

Tout au long de nos entretiens, nous avons été frappés par le cloisonnement des représentations. Les enseignants perçoivent leurs publics comme des apprenants. Cette dimension est certes légitime au regard de leurs missions, mais elle s’avère partielle. L’élève, surtout dans l’enseignement secondaire, n’est-il pas aussi un être à la recherche de son identité ? Chez les parents, c’est cette figure de l’adolescent qui domine. Les familles sont, à juste titre, préoccupées par cette rupture identitaire, mais l’adolescent est aussi un élève qui noue majoritairement des liens avec ses pairs. Quant aux élus, ils évoquent surtout le groupe des jeunes et formulent à leur intention des projets à dimension collective. Or, les ressources numériques ne peuvent faire sens et donc être bénéfiques à « l’élève-adolescent-jeune » que si ces trois dimensions sont appréhendées concomitamment par l’École, les familles et la Cité. Les innovations les plus probantes, les usages du numérique les plus prometteurs… naissent et perdurent grâce à de telles coopérations.

Le métier d’enseignant est-il en mutation ?

Les enseignants sont confrontés à de redoutables défis. Dans l’usage des technologies, leur jeune public possède une dextérité qu’ils n’ont pas et l’Internet les prive du monopole du savoir. Avec leurs smartphones, les élèves ont accès instantanément à l’information. La mission de l’enseignant se déplace. Plus que jamais, il est celui qui apprend à apprendre et prépare ainsi son jeune public à être demain un adulte plus autonome face au développement exponentiel des connaissances.

La posture historique de l’enseignant, le « face à face pédagogique », perd son monopole. Devenu médiateur, facilitateur… l’enseignant organise des séquences de coproduction de savoirs. Son activité n’est plus massivement centrée sur le seul temps de la classe. Il lui faut préparer largement en amont les situations pédagogiques en y intégrant les ressources numériques, développer des conseils pédagogiques « par-dessus l’épaule » et enfin s’engager dans des auto-évaluations quasi permanentes de ses pratiques. La formation initiale et continue des enseignants s’avère donc cruciale pour accompagner les jeunes dans la société de la connaissance qui advient.

Comment l’École peut-elle mieux réaliser sa mission première : celle de former des citoyens ?

L’École dispose aujourd’hui, grâce à des usages raisonnés du numérique, d’opportunités historiques pour accompagner la jeunesse vers un plein exercice de la citoyenneté. Elle peut en effet préparer les apprenants à considérer que l’information brute doit être systématiquement interrogée et parfois remise en cause. L’École est en train de devenir, grâce à des adultes plus attentifs à la progression de chacun, un lieu où se construisent les connaissances de demain. Mais pour cela, il importe que la médiation bienveillante des enseignants, mais aussi de tout citoyen qui est aussi un éducateur ponctuel, contrebalance la froideur des données numériques.