14 mai 2024
rappin déconstruction

Critique du management

À propos des ouvrages Abécédaire de la déconstruction, éditions Ovadia, 180 pages, 25 francs ISBN 978-2-363-92419-3 et Théologie de l’organisation: De l’exception permanente, éditions Ovadia, 560 pages, 48 francs ISBN 978-2-363-92278-6

Publié dans L’Agefi, supplément INDICES, octobre 2021.

INTERVIEW:

Quelle est l’idée centrale de votre tout récent opus?

L’Abécédaire de la déconstruction vise à présenter à un public non spécialiste mais cultivé les principes et les concepts d’un courant philosophique qui connaît aujourd’hui, tant à l’Université que sur les plateaux de télévision, un certain succès : il s’agit de la déconstruction. Si ce courant naît en France dans les années 1960, avec des penseurs comme Jacques Derrida, Gilles Deleuze ou encore Michel Foucault, il prit toutefois son essor sur les campus américains avant de revenir, tel un retour de flamme, sur le sol continental. Les expressions de ‘cancel culture’ ou de ‘pensée woke’ reflètent son importance.

Les auteurs qui se rattachent à ce courant, malgré leur diversité, basent leur réflexion sur un même dénominateur commun : le rejet de l’héritage de la civilisation européenne caractérisée d’un côté par la rationalité d’Athènes et de Rome (la philosophie, la science, le droit) et de l’autre par la reconnaissance de la dignité humaine que l’on doit principalement aux monothéismes de Jérusalem. Et qu’est-ce qui justifie ce bannissement ? L’oppression. Notre passé, sous toutes les formes que je viens d’indiquer, n’est pour eux qu’un gigantesque rouleau-compresseur qui ne cesse de brimer les altérités (les minorités qui vivent en Occident, les autres peuples).

Ces critiques menées valent-elles pour le management?

Si l’on poursuit le raisonnement précédent et que l’on en tire les conséquences, alors il faut bien affirmer que la déconstruction mène à la déstabilisation de nos institutions : l’État et toutes ses administrations, au premier rang desquelles figurent l’école et l’université, mais aussi le foyer familial qui constitue pourtant le socle de la reproduction des sociétés humaines. Or, il se trouve que le management donne à la déconstruction la force anthropologique qui lui fait défaut ; au fond, le premier accomplit ce dont rêve la seconde. Comment cela ?

Lisons cette phrase de Peter Drucker, une figure importante du management au XXe siècle : « La société, la communauté et la famille sont toutes des institutions conservatrices. Elles essayent de maintenir la stabilité et de prévenir, à tout le moins de ralentir, le changement. Mais l’organisation moderne est un déstabilisateur. […] Et elle doit être organisée en vue de l’abandon systématique de tout ce qui est établi […] ». Parce que le monde du management et des organisations est de part en part traversé par le changement, par la transformation, parce que la performance est liée au gain de temps et donc à la fluidité de la circulation (des matières, des biens, de l’argent, des hommes, de l’information), alors il convient de se débarrasser de tout ce qui peut ralentir le trafic, et notamment des institutions dont un rôle important est de fournir aux sociétés humaines de la stabilité. C’est ainsi que se lient, de façon a priori surprenante mais en seconde lecture tout à fait logique, déconstruction et management.

Préconiseriez-vous un gouvernement des hommes sans management?

Préconiser un gouvernement des hommes qui s’effectuerait sans management, cela passe en premier lieu par un effort conceptuel, et non pas directement opérationnel comme on pourrait le croire. Car, aujourd’hui, on assimile automatiquement l’exercice de responsabilités au management, comme s’il n’existait pas d’autres modalités d’organisation du travail que celles proposées par le management. Mais pour pouvoir définir ces ‘autres’ du management, encore faut-il être en mesure de circonscrire précisément, à la fois historiquement et philosophiquement, le management lui -même. Tel est précisément ce que je m’efforce de faire dans mes différents ouvrages.