14 mai 2024

Critique de la raison gestionnaire

À propos de l’ouvrage Sciences sociales et management: plaidoyer pour une anthropologie générale, de Jean-François Chanlat, éditions des Presses de l’Université Laval et éditions Eska, 1999, 114 pages.

Compte-rendu paru dans les pages Carrière du journal Le Temps, rubrique Le livre de la semaine, le 29 janvier 1998.

Le «managérialisme», ce mot barbare décrit le système d’explication et d’interprétation du monde à partir de catégories de la gestion, selon Jean-François Chanlat, et s’inscrit dans l’expérience sociale contemporaine. Il est le produit d’une société de gestionnaires qui cherche à rationaliser toutes les sphères de la vie sociale. «Dans un tel contexte, questionne l’auteur, quelles formes y prend le rapport entre les sciences sociales et le management? Quelle est la contribution des sciences sociales dans la compréhension du management et quelle place doivent-elles occuper dans la formation en gestion aujourd’hui?» Jean-François Chanlat développe son propos en quatre temps forts. Il précise d’abord, par le biais d’une mise en perspective historique, la nature et les exigences des sciences sociales d’une part, et du management d’autre part. Puis, il montre combien les sciences sociales et humaines sont sévèrement instrumentalisées dès lors qu’elles sont soumises aux impératifs de l’ordre économique dominant. Se livrant ensuite à une série de constats, à la lumière des simples faits, Chanlat met en évidence les résultats peu concluants engendrés pourtant par la rationalisation à tout crin des pratiques de gestion. Il propose enfin de soumettre cette dernière à l’épreuve d’une vision anthropologique élargie, afin de favoriser une approche interdisciplinaire de la gestion. Cet ouvrage, modeste dans son format, est en fait le texte de la leçon inaugurale de l’auteur, professeur titulaire (ordinaire, n.d.l.r.) à l’école des HEC de l’Uni de Montréal. Son fil conducteur est le même que celui qui tenait la somme qu’il avait dirigée il y a quelques années – L’individu dans l’organisation: les dimensions oubliées, mêmes éditeurs, 1990 –. «Prendre l’être en tant que sujet en acte dans un cadre particulier, l’organisation.» Cette démarche adresse au moins une question cruciale: les écoles de management doivent-elles uniquement former des jeunes gens de sorte qu’ils soient adaptés au modèle dominant? Ici, la réponse est très clairement: non!